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Full text of "Le demon du foyer comédie en deux actes par George Sand"

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ctiAyi t riF.ce, 20 ctanues. 

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THÉIIHL CONTEMPORAIN ILLLJ.TRK 



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LE DEMON DU FOYER 


COMÉDIE EN DEUX ACTES 

PAR GEORGE S A ND 

KEHlK'FKTK.E POCA L\ l’REMIERK FOIS, K PARIS, sim UC THÉÂTRE NJ «YMJABK, LK l* r *t:PlF.IIHKK I8SÎ. 


UIITRIDI'TIOS DK LA TlÉCI : 


LE MARQUIS MM. Lwontaink. 

LE PRINCE. Dcwia. 

LE MAESTRO Georraov. 

CAMILLE \ M"«’ Rom Chiai. 

FLORA < CORSARI. Litheb. 

NINA ) Chéri Lssielr 

La scène est aux en rirons de Milan au premier acte, A Cinés au second. 


BEPPO, domestique de» d«uiûis**lles Cors.iri . MM. Art. Blondiu 

UN MAITRE D’HOTEL Aatu.mn. 

Un garçon d’iiotel. 

Un cumtRGilN. 

Del’ v laquai» du mince. 





ACTE PREMIER 


Oans uw rilleUa aui tuviruua de Milan. lu p«tli salon de gofli 

HtlleR. fort modale. Porte au rond et fenêtre» ouvertes doti Ion vtil un 
Jardin. Porte à droite cl k giucbc. 


SCÈNE PREMIERE. 

LE MAESTRO, LE MARQUIS; immitui. 


LE MAESTRO. 

C’eel ici! reposes- vous. 

LE MARQUIS. 

Eh bien ! 


LE MAESTRO. 


Eh bien? 

LE MARQUIS. 

Eh bien, cher JVaesiro , me direz-vous enfin pourquoi nous 
avons quitté Milan, et a qui nous venons rendre visite dans 
cette petite maison des champs ? 

LE MAESTRO. 

Patience donc, signor Marchese! Je vous annonce une sur- 
prise, et vous ne vous y prêtez pas du tout ! Asseyez-vous. 
Vous êtes ici comme qui dirait dans ma famille. 

LE MARQUIS. 

A la bonne heure. Je vous ai donné ma journée; faites de 
moi ce que vous voudrez. Est-ce que nous sommes chez une 
femme? Oui ! voilà un vêtement de femme. 

LE MAESTRO. 

Vous êtes cher des femmes. 


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9 


LE DEMON DU FOYER. 


LE MARQUIS. 

Tant mieux, si par hasard elles sont jeunes et belles. 

LE MAESTRO, avec une inl*irJon comique. (S'*»kcyant.) 

Pas du tout. Elles sont vieilles cl laides. Mais, que vous êtes 
curieux! changeons de propos pour vous faire enrager 1 Vous 
avez donc été content hier a la Scala? 

LE MARQUIS. 

Dite» ravi, transporté ! Votre opéra est un chef-d'œuvre. 

LE MAESTRO. 

Oh! des chefs-d'œuvre!... On n'en fait plus 

LE MARQUIS. 

On a dit ça de tout temps, cl on en a toujours fait. 

LE MAESTRO. 

Que je suis fâché de n'avoir pas su que vous étiez là ! La 
re présentation m’eûl intéressé davantage si j’avais scnli dons 
ta salle un dilettante tel que vous. 

LE MARQUIS, lut prenant I» main. 

Dites mieux, un ami dévoué. 

LE MAESTRO. 

Ah ! les amis sont si indulgents ! 

LE MARQUIS. 

Pas toujours! 

LE MAESTRO. 

Je parle des amis qui nous aiment, et noo pas de ceux qui 
nous délestent : nous avons beaucoup do ccs derniers, dans 
les arts ! 

LE MARQUIS. 

Mais moi, j’espère que... 

LE MAESTRO. 

Oh vous! jo crois que vous m'aimez, car je sais que je vous 
aime! Ah çà, vous n'avez donc encore vu personne a Milan, 
mou Vénitien 7 

LE MARQUIS. 

Ma foi, non! Arrivé à six heures, je n’ai pas mémo pris lo 
temps de m'habiller pour aller au théâtre. J’avais faim et soif 
de bonne musique, et j'avais là aussi un intérêt de cœur. 

LE MAESTRO. 

Ah oui-da! 

LE MARQUIS. 

Quoi ? Puis-je, en savourant votre œuvre, ne pas m'enor- 
gueillir de votre succès? Puis-jc oublier que je suis votre 
compatriote cl que j’ai eu l'honneur d’avoir pour professeur 
de musique, dans mes jeunes ans, un pauvre artiste, bien 
longtemps méconnu, qui a été enfin proclamé un des pi entiers 
compositeurs de l’Italie? Et tenez, Santorclli : je me rappel- 
lerai toujours que si vous n'avez pas fait de moi un élève digne 
de vous... Uèlas! les enfants des riches ne sentent pas tou- 
jours le prix des bienfaits qu'on leur prodigue!... Du moins, 
vous avez ouvert mon âme au sentiment du grand cl du beau. 
Vous me versiez votre enthousiasme, et je crois que si je suis 
devenu un homme de cœur, c'est beaucoup a vous que je le 
dois. 

LE MAESTRO, ému. 

Cher enfant!... {Se reprenant.) Citer marquis!... 

LE MARQUIS, lut dominai U muni. 

Ah ! nu vous reprenez pas ! Dites comme autrefois. 

LF. MAESTRO. 

EU bien, oui, mon cher enfant, mon cher Pauline ! Tenez! 
ça me fait toujours du bien de vous revoir, ça me rajeunit ! 
Pourquoi n’étes-vous pas venu me trouver après le spectacle? 

LE MARQUIS. 

J'étais •& habit de voyage, et d'ailleurs je ne voulais pas 


mêler mon compliment aux compliments de tout le monde. 
Mais ce malin, ma première pensée, ma première visite ont été 
pour vous! Que je vous remercie de m avoir pris pour com- 
pagnon de votre promenade ! Je craigftais do vous trouver si 
occupé... 

r LE MAESTRO. 

Oh ! il n\ a pas d'occupation qui tienne! Je viens ici tous 
les jours. C’est si près de la ville, d'ailleurs! {Un ump» bien 
marque. ) Vous me disiez donc que vous avez été content aussi 
de la débutante? 


LE MARQUIS, avec un* certaine exaltation. 

La CorsariT Ah! mon ami! J'en suis charmé, trop charmé, 


peut-être ! 
Alt bah? 


LE MAESTRO. 


LE MARQUIS, 

Vous savez bien que j'ai la tête vive : vous ine l'avez souvent 
reproché. Eh bien, celte fois, me blâmez-vous de trouver que 
le talent et ht voix de ht Corcari sont les plus pénétrants, les 
plus sympathiques qu’il y ail au inonde 1 Suis-je fou de ‘Ba- 
voir pas doruti de la nuit? 

LE MAESTRO. 

Ma foi, non ! Je suis fier d’elle. C’est mon élève. 


LE MARQUIS. 

On me l’a dit a Venise. 

LE MAESTRO. 

• Parle-t-on déjà un peu d'elle à Venise î 11 n’y a pas plus 
d'un mois qu'elle est au théâtre. 

LE MARQUIS. 

Encore un mois, et l'on en parlera dans toute l’Italie, n’en 
doutez pas. C'est un talent vrai, une destinée sûre. 

I.E MAESTRO. 

C'est mon avis ! Sans être de la première beauté, elle est 
agréable ! 


LE MARQUIS. 

Elle m’a paru belle à ravir : je ne peux pourtant pas dire 
que j'aie vu ses traits. J'étais placé loin, cl je n avais pas de 
lorgnette. Je m'étais caché seul dans une petite loge pour n a- ^ 
voir a causer avec personne cl pour savourer votre musique 
en avare. Et. puis, que vous dirai je? Je n’étais pas pressé de 
voir de près l’ange d'harmonie qui chantait pour mon âme. Jo 
ne regardais pas la Corsari. Je voulais 1 aimer dun amour 
immaléricL.. 

LE MAESTRO. 

Allons! c'est bien vous! Eisa sœur, lavez-vous remarquée? 


, LE MARQUIS, avec insouciance. 

Non ! a-l-ellc une sœur? 

LF. MAESTRO. 

Celle qui chantait le second rôle ? 

LE MARQUIS, chcrduul» à *• souvenir. 

AU oui ! une belle voix. 

LE MAESTRO. 

Et une jolie personne? 

LE MARQUIS. 

Je n’y ai pas fait attention. Elle n'a ni âme, ni talent ! mats 
pardonnez ma franchise. Elle cal peut-être aussi votre éléve ? 

LE MAESTRO. 

Oh ! celle là n’a eu qu’un maître, la paresse. Mats en fait de 
paresse... conçoit-on celle de mes vieilles dames? Elles ne 
nous savent pas ici. Je vais les chercher. 

LE MARQUIS. 

t Vous me quittez? Si quelqu'un vient ici en votre absence, 
quelle figuro absurde vais-je faire, moi qui ne sais pasoüja 
suis? 


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LE DEMON DU FO Y EK. 


3 


LE M.U-sTKO. | 

Allons! il faut bien que je vous le dise. Il est temps. Vous 
êtes chez la Corsari. 

LE MARQUIS, avec élan. 

En vérité? Oh ! merci, merci, mon ami! 


LE MAESTRO. 

Oh ! oh ! C'est doue une passion? Si vile que ça? 


LE MARQUIS, souriant 

Qui sait? J'ai le cœur libre, et l'on dit que le sien est encore 
tout entier à la musc ! 

LE MAESTRO. 

Ccsl vrai ! on lui rcud justice ; son cœur est libre et pur ! 

LE MARQUIS. 

Merci ! merci encore pour cc que vous inc dites la. 

LE MAESTRO. 


Doucement, doucement, Paolino!... Vous êtes un homme de 
premier mouvement... un homme d'honneur, je le sais.. Mais 
ici... Ecoutez... Je veux... je dois vous dire tout. Après cela, 
je serai tranquille. Sachez donc que toute atteinte portée au 
repos, au bonheur, à la considération de la Gorsari sérail un 
attentat contre moi-même. 

LE MARQUIS. 

Parlez, ami, j'écoutc. 


LE MAESTRO. 

Vous avez vu dans votre enfance, a Venise, la pauvre Eléna 
Gorsari, une actrice de quelque mérite, une femme dout le 
cœur valait mieux que la tête, et duul j'ai toujours été l'ami 
sincère, bien quelle sc soit vile lassée de partager ma mauvaise 
fortune. Elle est morte, il y a dix ans, ne laissant rien au j 
monde... que trois filles... dont une, celle qui vous a charmé... I 
LE marquis. 

Oh ! mon ami, je comprends quelle ait le feu sacré, celle-là. I 
LE MAESTRO. 

Elles étaient dans la misère, et j'avais alors à peine de quoi 1 
vivre. Mais comment pouvais-je séparer cc que Dieu avait uni 
par le sang! Je me chargeai des trois orphelines. L’aînée, qui 
est une bonne âme, m’a aidé & élever les deux autres. Dieu 
merci! nous voici tous à flot. Ces filles respectent le souvenir 
dune teudre mère et ne doivent jamais rien savoir du secret 
que je vous confie. 


LE MARQUIS. 

Oh ! soyez sûr... 

LE MAESTRO. 

Oui, oui, mais cc n'est pas tout! Un homme de votre rang 
peut être le frère et l'ami de la tille du Maestro, mais rien de 
plus... [Ils se donnent ta main.) Non, vous ne l'oublierez pas, j 
vous ! 

(Il tort ému par le fond.) 


SCÈNE II. 


LE MARQUIS, seul. 

Moi! je ne l’oublierai pas, car c’est à mes yeux un titre de | 
plus, un litre de noblesse! Ah! mon cher maître! le meilleur | 
aini de mon enfance, vous me croyez donc bien changé ! imbu | 
des préjugés et des ambitions du monde... Eh bien, je inc sens j 
fier d'être encore, à vingt-cinq ans, le garçon naïf et droit que | 
vous avez connu... De plus, je suis libre! .. On vient... c'est 
elle! Celle parure exquise... cette démarche aisée... Oui! oh! 
je suis ému ! 


SCÈNE III. 


LE MARQUIS, FLORA CORSARI, mise avec goût et 
recherche, et sVraoçaot avec lUiuraocc ; dlo cuire par la gauche. 


FLORA. 

Mille pardons, monsieur le marquis, le Maestro nous avait 
bien parlé de vous, mais il ne vous attendait pas silélà Milan. 
Et nous n’espérions pas l'honneur de votre première visite! 

LE MARQUIS. 

Signora Corsari, je me sens si troublé en vous voyant, que 
je n’entends pas cc que vous me dites. 

FLORA. 

Vraiment? Mais si votre émotion allait me gagner, il uous 
serait difficile de causer ensemble. 

LE MARQUIS. 

Eh bien, no causons pas ! Laisscz-moi vous regarder. Je vous 
ai entendue hier! Votre voix est là! [Il met la main sur sa poi- 
trine.) Mais je no vous avais pas vue. Mon Dieu, vous n'aviez 
pas besoin d'être si belle ! 

FLORA, minaudant. 

Vous êtes louangeur, monsieur le marquis... 

LE MARQUIS. 

Oh! no vous alarmez pas : ne prenez pas ma franchise pour 
de l'audace. Je passe dans le monde pour bizarre parce que je 
suis simple, et pour sauvage parce que je suis sincère. J’ai un 
culte pour le talent et pour la beauté : que pouvez-vous trou- 
ver la d'extraordinaire, et qu'y a-t-il de plus respectueux que 
l'admiration? Tenez, signora, je fais plus que de vous admirer, 
je vous aime! Oui, je vous aime comme on aime le beau et le 
vrai. Dites que vous acceptez un enthousiasme digne de vous 
par sa pureté, et laissez-moi toucher votre main en signe 
d'estime et de confiance. 

FLORA. 

Ma main ?... mais je ne sais si je dois... [Elle donne la main 
et dit à part:) Oh ! il est encore plus galant que le prince! 

LE MARQUH, lai baisant la main. 

Oui, vous devez croire en moi, en moi qui n'ai vécu que par 
vous, hier, pendant trois heures. N’est-ce rien que de faire 
vivre l aine cl la pensée, et ne vous dois-je pas pour cela une 
reconnaissance ardente?... 

SCÈNE IV. 

LE MARQUIS, FLtIR A CORSARI, NINA CORSARI. 


NINA, entrant par la gaucho. Elle est mise en bourgeoiie sans 
prétentions, et a de la rondeur dans les manières. 

Ronjour, monsieur le marquis. Ma soeur Camille était rete- 
nue par le Maestro, elle vous prie do l’excuser, mais elle va 
venir vous saluer... [A Flora.) Tiens! tu es là? comme tu les 
faite bcllo, ce matin ! 

FLORA, avec hoinFur. 

Mais pas plus qu’à l’ordinaire, je crois! ( Bas an marquis.) 
C’est notre sœur' aînée, une bonne fille, ircs-bourgcoisc et 
assez ennuyeuse. Vous plalt-il de faire un tour sur la terrasse 
avec moi, en attendant mon autre soeur? 

LE MARQCIS. 

Que m’importent vos sœurs, pourvu que je sois pré» de 
vous? Ah! c'est vous seule... 


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LE DEMON DU FOYER. 


I 


FLORA. 

Vrai / Donnez moi donc le bras! 

LE MARQUIS. 

Je n 'osais pas vous l'offrir. 

(lia sortent par U jardin.) 

SCÈNE V. 

NINA, seule. (Elles été chercher son ouvrage sur uu meuble, au fond, 
a droite, pendant l’aparté de Flora et du marquis. Elle les regarde 
sortir avec étonnement.) 

Tiens! comme elle vous t'emmène ? Est-ce quelle s'est mis 
»*n tôle de l'accaparer? Est-elle drôle ! Prend -elle des airs dé- 
gagés,. à présent ! 


SCÈNE VI. 

NINA, LE MAESTRO, CAMILLE CORSARI. Ils entrent 

par lu gauche ; Camille est mise avec uue simplicité extrême 


LE MAESTRO. 

LU bien ? où csi-il donc passé, mon marquis * 

NINA. 

Ali ! ma foi, Flora la déjà déniché. Voyez ! elle l’emmène au 
jardin ! 

CAMILLE. 

Eli bien? qu'cst-ce que ça fait, bonne sœur! le marquis est 
un homme de bonne compagnie, et puisque le maître noirs dit 
que nous pouvons agir avec lui comme avec un ami... 

LE MAESTRO, prenunt le bras de Camille. 

Oui, oui l Allons les rejoindre. 


NINA, travaillant toujours. 

Pourvu que ça ne la mette pas de mauvaise humeur pour 
toute la journée! 

LE MAESTRO, s'arrêtant. 

Pourquoi donc ça? 

NINA. 


Parce que votre marquis lui en conte déjà. 11 lui parlait avec 
(eu quand je suis entrée; il lui baisait la main, et crac! clic a 
tourné les talons, comme clic fait toujours, quand ou dérange 
ses coquetteries! 


LE MAESTRO. 


Ah ça, elle est donc toujours d'une coquetterie v." ' !c, la 

petite sœur? (A Camille.) Tu médisais quo ça sc corrigeait! 
son fiasco sur la scène aurait dû pourtant lui prouver que la 
beauté sa.nj le talent... 


NINA. 

liait! elle dit quo le talent sans Ta beauté est moins encore. 

LE MAESTRO, piqué, sc retournant ver» CuniUe. 
Prétcnd-cIIc que sa sœur soit laide.* 


Elle prétend être plus belle cl se dédommager dans le monde 
des succès que Cainillo lui enlève au théâtre. 

LE MAESTRO. 

bans quel momie ? Sc croit-elle une grande dame, par basardT 
NINA. 

Les grands seigneurs lui fout croire quelle est quoique 
chose ! 

LE MAESTRO. 

Qui ça? 

NINA. 

Tous ceux qui viennent flâner dans les coulisses. 

LE MAESTRO. 


I 


Dilcs-moi, avez vous remarqué que le prince de Valdimomé 
s'occupât d'elle? 

Oh! celui-là ne lui dit rien de trop. 

LE MAESTRO. 

Faites-y allcnlion, à ce fameux ami de l'art qui n’entend rien 
à la musique! À ce protecteur désintéressé des cantatrices, 
dont Tunique passion est de compromettre celles qui sont en- 
core pures, et dont tout le système consiste i ne leur inspirer 

aucune méfiance! si Flora l'écoutait 

NINA. 

Elle n’écoute personne, mais elle sc vante de charmer tout 
le monde ! 

LE MAESTRO. 

Eh bien, moi... je finirai par lui dire, à celte péronnelle... 

CAMILLE. 


Ah ! mon ami, n'cst-ce (tas son droit de sc consoler un peu, 
j par scs charmes, des froideurs du public pour son talent? 

LE MAESTRO. 

Son talent! Comme si elle en avait! 

CAMILLE. 

I Raison de plus pour ne pas lui reprocher les innocentes 
compensations de la coquetterie. 

LE MAESTRO. 

Tiens, Camille, tu la gâtes, que c'est ridicule! 


NINA. 

I Oh ! oui, par exemple ! 

CAMILLE. 

Parle donc, toi, gâteuse d’enfants, qui nous a élevées toutes 
| deux, avec quelle douceur, quelle tendresse, quelle patience 1 

NINA, pleurant. 

Toi... tu m'en as récompensée!... Mais elle! elle me fera 
mourir de colère et de chagrin ! 

LE MAESTRO. 

Allons, allons ! la soeur aînée ! ne vous montez pas la tête, 
à présent! Elle se corrigera... nous la corrigerons, que diable! 
11 ne faut pas pleurer comme ça à tout propos ! Ça peut faire 
du inal à Camille, vos petites querelles d'intérieur. Songez 
qu'elle chante pour le public, ù présent, et qu'il ne faut pas 
qu'une cantatrice ail dos émotions en dehors du théâtre. 

NINA, essayant *c» yeux. 

C'est vrai... Mais si vous saviez de quoi Flora nous menace ! 

LE MAESTRO. 

Eh bien, qu’e«t-cc qu’il y a? Me cache-t-on quelque chose 
ici? Je veux tout savoir, moi! 

NINA s’est levée. 

I Non, rien, des enfantillages ! Elle ne pense pas à ce quelle 
i dit! 

LE MAESTRO. 

Si fait! Il y a quelque chose... que tu me diras, loi... Mais, 
pour le moment... (se retournant vers Camille } allons donc re- 
joindre mon marquis. 11 paraît nous avoir oubliés. 

CAMILLE. 

Rieu ne presse, maître. 

LE MAESTRO 

Pourquoi donc? Je suis pressé, moi, de le présenter uu de 
I mes meilleurs amis, un homme dont je fais le plus grand cas, 
et dont je l ai souvent parlé. 

CAMILLE. 

Eh mon Dieu! est-il convenable que je montre plus d’im- 
palicnce qu'il n’eu fait voir lui-mémc?... 

(Nina a fait des signes au Maestro pour l'engager h persister 
dans son intention d’aller au jardin. Camille s’interrompt 
en vojunl ces signes.) 


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LE DEMON ÏMi rUY ED. 


Î5 


LE MAESTRO. 

Allons, allons ? je comprend)» que la Florine commence à 
trop prendre sa volée 1 

CAMILLE. 

Eh non, maître! c'est une enfant! 

LE MAESTRO. 

Tu la vois à travers loi-même... Et moi, je me méfie de sa 
légèreté... Je n entends pas quelle s'émancipe comme çal Ça 
n’est pas à cause d'elle, je m’en moque. 


Oh ! mon ami! 


CAMILLE. 


LE MAESTRO, fiché. 


Oui, je m’en moque! Mais c'est & cause de toi. Je ne veux 
pas que Camille ait une soeur qui se conduise mal sous ses 
yeux... ça retomberait sur toi... et sur Nina! N'cst-ce pas, 
Nina? Allons, parle, qu’est -ce qu'il y a de nouveau? 

CAMILLE, qui a passé près de Nina. 

Non, non, pas encore. Tu sais comme il la gronde quelque- 
fois... 


NINA, au Maestro. 

Un autre jour ! Ce n’est peut être pas ce que je m’imaginais. 

LE MAESTRO. 

Aller toutes les trois au diable! Ah ! les fpmmcs! J’aimerais 
autant me faire un archet d’une toile d araignée que de comp- 
ter sur un brin de franchise ou de raison de leur part! 

CAMILLE, triste et tendre. 

Allons!... voilà que vous vous fâchez contre moi, à présent ! 

LE MAESTRO. 

Et loi, voilà que tu as les yeux pleins de larmes! (Test ça, 
lettre, je te le conseille! Serre-toi le gosier, éraille-toi la 
voix... S'il n’y a pas de quoi se damner!... 


SCÈNE VII. 


NINA, LE MAESTRO. CAMILLE, FLORA. 

LE MARQUIS. 

LE MAESTRO. 

Allons donc, marquis, que devenez -vous? 

LE MARQUIS. 

Mais, rien... (d part) pas même amoureux. (/< salue Camille. 
Signera .. 

LE MAESTRO, bas au marquis. 

Ne lui dites-vous rien? 

LE MARQUIS, de même. 

Ah! c'est l'autre!... Je ne sais que lui dire!... (Haut.) Si- 
gnora, j’ai eu le plaisir de vous entendre hier... vous avez 
votre part... vous contribuez certainement au grand succès du 
chef-d'œuvre.. . 

LE MAESTRO, à part. 

Que diable lui chanlo-t-il là? 

CAMILLE, avec sincérité. 

Epargnez-moi les conif liment» d’usage, monsieur le mar- 
quis. Quand on parle d : l’œuvre du maître, les artistes ne 
comptent guère, et rougissent presque d’ôtre cités après lui. 

LE MARQUIS. 

Vous êtes extrêmement modeste, sipnora. C’est une rare 
qualité... tà part) que n’a pas sa sœur! (Au Maestro, montrant 
Camille.) Eli bien, sa figure cl «a voix sont très-sympathique. 
File a l’air d'une bonne fille. 

LE MAESTRO, à part. 

Une bonne fille! une bonne fille! Ah çà, mais... 


CAMILLE. 

Vous allez nous faire le plaisir de prendre le chocolat avec 
' nous, n’cst-ce pas, monsieur le marquis? 

NINA. 

Ah! oui, par exemple! C’est moi qui le fais, et le Maestro 
j peut vous en donner des nouvelles. Je vais le servir. 

(Elle sort.) 

FLORA. 

Apportez-le • i, la salle à manger est si petite et si laide!... 

LE MAF.STRO, pHidunt que Nina sort par la gauche el que Flora 
•'étend nonchalamment sur la causeuse. 

Bah ! qu est-ce que ça fait au marquis que la salle àmangn 
ne soit pas belle ! Il sait bien que vous ne gagnez pas encore 
trente mille francs par saison ! 

FLORA, nu marquis, qui parait rêveur. 

Est-ce que vous ôtes triste, marquis? 

LE MARQUIS, se réveillant 
Triste, moi? pourquoi donc? 

. (Il s'approcha d'elle ' 

FLORA. 

Alors, vous êtes gai. Tant mieux; car je ne puis souffrir la- 
réflexion et la mélancolie. Je voudrais voir tout en rose, vivre 
de rêves et d'illusions!... 

LE MARQUIS. 

Moi aussi. Malheureusement, toutes choses ne s'arrangent 
pas au gré de notre fantaisie, el l'esprit le plus riant voit ses 
illusions lui échapper... 

FLORA, baissant la voix» (Lé Maestro qui l'observe va doucement 
placer derrière la causeuse pour écouter. Pendant c« temps. Camille 
essuie les tasses avec soin el prépare la table.) 

On dirait que c’est à cause de moi que celte idée voua vient ! 
Tenez, vous êtes soucieux, convenez-en ! Est-ce que j’ai dit 
quelque chose, dans le jardin, qui vous ait attristé? 

LE MARQUIS. 

Oui, plusieurs choses qui m’ont étonné au point que... 

LE MAESTRO. 

Elle a dil dire mille sottises! 

FLORA 

Ah ! vous nous écoutiez ? 

LE MAESTRO. * 

Eh bien, pourquoi pas? avez vous des secrets à lui confier? 

LE MARQUIS, étonné. 

Oh! non, certes ! Lasignora prétendait qu’elle n’aimait pas 
énormément la musique et voulait me faire dire que je n’y 
tenais pas non plus. Quelle me pardonne ma franchise, mais 
j’ai cru voir là une affectation... 

LE MAESTRO. 

Ma foi, non ! Elle vous a dit ce qu’elle pense. Elle n’aimeque 
le caquetage et les chiffons. 

LE MARQUIS, stupéfait 
Ah! vraiment! est-ce possible? 

(Flora s’évente avec dédain.) 

LE MAESTRO, apercevant Camille qui met le couvert 
Eh bien. quVst-cc que tu fais doac là, toi? 

CAMILLE. 

Je suis sûre que vous avez faim, el je me dépêche.. 

LE MAESTRO, lui étant la serviette des main». 

Tu sais que je ne veux plus que tu t’occupes du ménage. 
C’était bon avant le succès, tout ça! on pouvait douter de l’a- 
venir, et se tenir prêle à rentrer modestement dans la médio- 
crité. Mais à présent, ces soins-là ne lo conviennent plus. Est- 
ce que tu en as le temps? est-ce que ces mains-là sont faites 
pour esanver la vaisselle ! 


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c 


LF DÉMON DU FOYER. 


CAMILLE, hasKani la voix. (Le marquis commence h l’observer 
atteulivcmciit et • IV router. Il s'nat levé.) 

Oh. cher maître ! voulez-vous donc que Nina ail loule la 
peine ? c’csl un plaisir pour moi de l'aider ! 

LE MAKbTRO. haut. 

Que Nina »e reposa si bon lui sembla. Navez-vou» pas des 
domestiques? je vous en ai choisi deux très-bons. Où sont-ils? 
Est -ce que tu les a gâtés, comme tu gâtes tout ce qui t'ap- 
proche f { Allant au fond.) (Icppo, où élcs-vous donc, Ikppo"' 
CAMILLE. 

Il est sorti. 

LE MAESTRO. 

Pourquoi à l'heure du déjeuner ? 

FLORA, d'un ton d'autorité. 

C'est moi qui l'ai envoyé à la villo. 

LE MAESTRO. 

Vous avez eu tort! pourquoi Pavai -vous envoyé à la 
ville ? 

FLORA. 

J’avais besoin d’un diadème. 

LE MAESTRO. 

Pourquoi faire, un diadème ? pour éblouir les oiseaux de 
voire jardin ? 

FLORA, avee humeur. 

Eh non I pour mon râle. 

LE MAESTRO. 

Quel réle? est-ce que vous allez faire la prima -donna, ee 
soir? 

CAMILLE. 

Elle a la fantaisie d’un bandeau de perles 1 Qu'est-ce que ça 
vous fait, maître? 

LE MAESTRO. 

Moi, je n'entends pas ça. line confidente porte de «impies 
bandelettes de laine, Elle n’aura, mordieu, pus de perles! 

FLORA, en colère. 

Quelle tyrannie 1 c’est pour m'humilier, pour me rabaisser 
toujours. 

LF. MAESTRO. 

Oh! fâchez-vous et frappez du pied! vous n’aurez pas de 
diadème, car cela ne \ous fera pas-mieux chanter, et si vous 
p’élcs pas contente, je vous relire le rôle. 

• FLORA. 

Ah ! si vous croyez que j’y tiens, par exemple !... 

CAMILLE, ta caressant. 

Flora ! chère petite ! je l'en supplie! 

(Flora sur la causeuse oü c|lo suffoque de «Jépit. Camille la 
console et l’embrasse. Le Maestro, irrité, a envie de casser 
une chaise et reprend sa lecture.} 

LE MARQUIS, h port, sur le devant de la seène, observant 

les deux sieurs. 

Cette petite robe grise... celte figure douce, cette humble, 
celle modeste créature... c'était la vraie Corsari, la grande 
artiste, la cendrillon de génie!... mon révo, mon idéal... Et je 
m’étais trompé 1 oh, que Je suis heureux! 

. SCÈNE VIII. 

LES PRÉCÉDENTS, NINA, qui apporta un* grande cl»oco- 

latièro. Le marqaia court «o-d«vait d'elle, U débarrasse «t verte le 

chocolat dans les lasses. 

NINA. 

Mais, monsieur le marquis... 


f LE MARQUIS... luisant dans son empressement, quelques gituchivic*. 

I Lais-scz-moi faire, signera. J’ai la passion de ces details du 
i ménage. 

LE MAESTRO. 

I Allons bon! voilà le marquis taisant le service de la table, 
à présent ! Où est donc Marotte? a-t-elle été chercher un man- 
teau de brocart pour celle princesse? 

CAMILLE. 

Mon cher maître, de grâce, vous la rendez malade, cette 
pauvre entant !... et cela roc fait mal aussi, à moi ! 

LE MAESTRO, avec un mélange de colère et de bonté. 

U ne manquerait plus que ça ! Allons, allons, FJorino 1 en- 
fant gâté! démon!... petite!... à table. Voulez-vous faire une 
sccue «levant un étranger? 

FLORA. 

C’est vous qui... • 

Camille, bas. 

Tals-lai donc t tu auras ton bandeau, je m’en charge! 

LE MAESTRO, voyait le marquis qui apporte le guéridon. 

Mais où diable est donc Marotte ? Nina, l’avez vous renvoyée? 
c'est de l'avarice que de vous obstiner à cctlc vie bourgeoise! 

NINA. 

Ali! ne me grondez pas! ce n’est pas ma faute. Elle est 
partie! (Bas.) Flora la faisait damner : mais ne dites rien ! 
voyez, Camille pleure à la dérobée! 

CAMILLE. 

Allons, déjeunons, maître, voilà votre chaise, votre tasse. 

LE MAE6TR0. regardant la tasse. 

Non! ello a été remplacée. 

FLORA. 

C’csl moi qui l'ai cassée hier, dans un moment d’imp3tiencc, 
voulez-vous me battre pour une tasse? 

I.E MAESTRO, h part. 

Ah ! que ça me ferait de bien ! 

I.E MARQUIS, h Flora, an lai offrant une tasse. 

Aurai-je l'honneur! 

(Le Maestro s’impatienta. ') 
FLORA, repoussant la lisse. 

Je n'ai pas faim. 

CAMILLE. 

Je t’en prie, ma chérie, mange un peu ! essaye, l'appétit 
i le viendra. 

(Le Maestro hausse les épaules en voyant bouder Flora.) 
LE MARQUIS, à Flora, insistant pour lui offrir sa tasse. 

I Signora... 

(Flora refuse.) 

LE MAESTRO, NINA, CAMILLE. 

I Ah!.,. 

! LE MARQUIS, h Nina, se bâtant de changer la conversation. 

Vous aimez la campagne, signora? 

NINA. 

Oui, puisque Camille l'aime. 

LE MARQUIS. 

Oh, alors ! qui ne l'aimerait ? La signora Flora doit l'aimer 
aussi ? 

FLORA. 

Moi? je la déteste î 

LE MARQUIS. 

i C’est étonnant. Peut-on vivre ailleurs qu'à la campagne ? 
■ (A Nina , lui montrant Camille.) Et les fleurs? 

NINA. 

Les fleurs? elle en est folle. 

LE MARQUIS 

J>n étais sûr. 


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LC DEMON DU FOYER. 


7 


FLORA, railleuse. 

El les petits oiseaux, les pclils agneaux, lotis les innocents 
animaux ? 

NINA. 

Eli bien, oui!... clic gâte loul ça! elle a les goûts d'un en- I 
fant ! 

LE MARQUIS. 

Elle est un peu comme bien, qui aime et protège la faiblesse. 

LE MAESTRO, donné, regardant le marquis. 

Ah ça, pourquoi ne lui parlez-vous pas à elle-même ? 

LE MARQUIS. 

Mais c'est que je n’ose pas! 

CAMILLE. 

En vérité? pourquoi donc, monsieur le marquis? 

LE MARQUIS. 

* Ah ! vous le demandez ? 

LE MAESTRO. 

Parlez-lui musique! 

LE MARQUIS. 

Non, car malgré moi je lui parlerais d'clle-même, et je inc 
suis promis de no lui adresser aucune sorte d'éloge. 

LE MAESTRO. 

Vous me disiez pourtant... 

LE MARQUIS. 

Oh ! ne ldi répétez rien de ce que j’ai pu dire hors de m pré- 
sence. Il y a au fond de l'humilité dci grandes Ames une dose 
d'orgueil bien légitime. Elles sentent que s’il est permis 1» loul 
le monde de les adorer, il n’cst pas permis à loul le monde 
de le leur dire. Si j'étais vous, je lui dirais... mais je ne suis 
que moi, cl je ne lui dirai rien, dussé-je étouffer! 

LE MAESTRO. 

A la bonne heure! ( A pari.) Je ine disais aussi, qu'est-ce ! 
qu’il a donc! 

FLORA, avec dépit. 

Le marquis possède toutes les formules de la louange ! J‘es- j 
père, Camille, quo lu es contente? 

CAMILLE. 

Je suis reconnaissante de l'intention, mais jen’acerpte pas... 

NINA. 

11 faut accepter ce qui vient du cœur, va ! et l’on voit bien 
chez lui qucc’est le cœur qui parle. Moi, ie l'en remercia pour 
toi. Tiens... 

(Elle tend la main an marquis qui la bais*. Flora éclate de 
lire. Nina a fait une eveUination d'étonnement.) 

LE MAESTRO. 

Ah ! ah ! vous avez donc fini de pleurer, A présent ? de quoi 
riez-vous ? 

FLORA. 

De la figure de Nina quand on lui baise la main. Elle n’est 
pas habituée 6 ça. 

LE MARQUIS. 

C’est peut-être un peu familier de ma part. La signera Nina 1 
voudra bien pardonner à un moment d'effusion. 

KIXA. 

Oh ! ie vous pardonne bien, allez ! 

FLORA, qui rit toujours, au mollir. 

Ah! voyons. Maestro, ne me faites pas ccs yeux terribles ! | 
j’ai comme ça des envies de rire, moi! ça me vient s^ns motif, i 
comme les effusions de monsieur le marquis. 

LE MARQUIS. 

Sans motif?... dois-je dire le mien? 

LE MAESTRO 

Oui, dites-le, Paolino 

UE MARQUE*. 


Je vois vite, comme je sens vite toutes les choses de cœur, 
cl j’ai vu cl senti tout de suite dans les yeux et dan» l'aeeem 
de U signora Nina quelle aimait sa sœur Camille avec passion . 

NINA. 

Oh ! ça, c’est cc qui s’appelle avoir la vue bonne. 

CAMILLE, primant ta main de Xitqi. 

Et vous avez vu qu’elle m'aime ainsi parce qu'elle est u” 
ange ! 

LE MARQUIS. 

Ce qui le prouve bien, c’cst quelle m'a compris, elle! 

"NINA, o Camille. • 

A cause de ce qu'il pense de moi, tu devrais bien auui lui 
tendre la main. 

LE MAESTRO. 

Oui, et c’cst par là que vous eussiez dû commencer : car il 
est mon enfant, lui aussi ! 


CAMILLE, tendant la raaiu ou raarquis- 

Je lésais. # 

LE MARQUIS ne lui baise pas la main, mois la garde 
dans les sienne» avec émotion. 

Je suis bien heureux! merci! le plus beau moment de ma 
vie est celui où vous m'acceptez pour votre serviteur. 

LE MAESTRO. 

Dites son frère. 

LE MARQUIS. 

Non, son esclave ! 

FLORA, se levant de utile avec colère. 

Dr mieux en mieux! le marquis a une puissant d'expan- 
sion vraiment remarquable. Est ce qu'il est toujours comme 
ça? c’est bon a savoir. C’est très-amusant! 

I.F. MARQUIS, se levant et s'approchât de Flora. 

Pourquoi donc, signora? parce que je me suis exprimé de- 
vant vous en admirateur de la beauté? 


FLOUA, S demi-voi*. • 

Ne trouver que cela à louer dans une femme équivaut j>ar- 
fois à une injure. 

LE MARQUIS, haut. 

Ai-je dit cela, mon üicu? n’ai -je pas admiré aussi l'étendue 
de votre voix? 


CAMILLE, stcc empressement- 

N’esl-cc pas, qu elle a une voix magnifique? Elle en a beau- 
coup plus que moi, cela est certain, cl quand clic voudra tra- 
vailler un peu... • 

LE MARQUIS. 


Ah ! il faudrait qu'elle eût l'utt.m.r de l'art, et elle s’en dé- 
fend ! mais il n'y a pas de crime à cela, on n’cst pas forcé 
d'aimer la musique pour être une personne de mérite. Quanti 
on a la bonté, le dévouement, la simplicité! (A Flora.) Tenez, 
^ignora, si votre sœur n'avait pas son admirable talent, elle 
commanderait encore la tendresse et le respect par les qna • 
lités de son Ame. 


FLORA, bas au marquis. 

Vous les avez appréciées bien vile, ces qualités-là I 
LE MARQUIS. 

Comme j'ai apprécié les grâces de votre personne. 

(Pendant qu*its causent ensemble 1 , Nina et Camille rangent, Lr 
Maestro les aide en montrant de llmmeur chaque foi» que 
Camille touche à quelque chose.) 


FLORA, ou marquis. 

Tenez, Monsieur, convenez que vous m'avez prise tantôt 
pour Camille ! 

LE MARQUIS. 

Quelle plus humble flatterie cussè-je pu vous adresser si je 
l'avais fait exprès ? 

FLORA, tvn*, une rage concentrée. 

Ah ! ceci est une insulte ! 


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LE DEMON DU FOYEft. 


LE MARQUIS. 

Dieu me préserve d'en avoir eu la pensée ! 

SCENE IX. 

LES PRÉCÉDENTS, BEPPO, apportant ua érriu. 

LE MAESTRO. 

Ah ! le voilà, ce fameux diadème ! 

CAMILLE, prenant l'écrlo des mains du domestique 
Non, ne parlons plus de cela ; c’est quelque chose pour 
moi. 

FLORA, inquiète. 

Mais non!... c’est... 

CAMILLE, lai remettant l>crin h la dérobée. 

Cachc-lc et ne dis rien. Je le réponds qu’il consentira à te 
le laisser porter ce soir. {Haut.) Allons-nous au jardin, mallre ? 
il fait si beau ! 

I.F. MAESTRO. 

Oui, allons respirer dehors à pleins poumons, et plus de 
querelles, j’en ai assez! 

NINA. 

Oh ! moi, j en ai la télé fendue! 

^Camille prend le bras de Nina, h laquelle le marquis s'empresse 
d'offrir le bras de l’autre côté. Le Maestro aort le premier 
en donnant quelques ordres au domestique. Camille *e re- 
tourne vers Flora avant de sortir.) 

CAMILLE. 

Eh hicn, viens-tu, .chère enfant? 

FLORA. 

Oui, oui, je vous suis. 


SCENE X. 


FLORA seule, ouvrant l ‘écria. 

Il a dit qu’il m'écrirait par celle occasion... Oui... (Elle lit.) 
n D’abord, permettez- moi de changer quelque chose à votre 
■j commande, cl de remplacer par de vraies perles...» (Elle 
regarde le bandeau.) Tiens, c’est vrai, elles sont superbes! 
Mais pourquoi me donne-t-il cela? à quel propos un pareil 
présent? Je n’en veux pas! (Elle Jette le bandeau sur le divan 
et continue ta lettre.) «Si vous ôtes décidée à suivre mon con- 
b seil, vous me le direz aujourd'hui. J’irai vous faire ma cour 
a à la villelta. 

« Votre ami, le prince de ***. » 

Ici ?I1 compte venir ici aujourd'hui ? 0 ciel ! tout serait perdu ! 
on m’accuserait... Il croit donc que je suis maîtresse de mes 
actions?... Oh! si je l'étais!... je ne resterais nos une heure 
sous le coup de l'outrage que je subis!... 


SCÈNE XI. 


FLORA, LE PRINCE, par la porte do gaucho. Il mtr* avo 
beaucoup d’aisance, comme h«c lui. 


LE PRINCE. 

Ah! vous venez seulement de recevoir ma lettre ? F.n ce cas 
vous ne m’avez pas attendu longtemps. 


» FLORA. 

Ah ! prince, vous me perdez en venant ainsi me surprendre. 

LF. PRINCE, avec le flegme d’un grand seigneur. 

Tiens 1 pourquoi donc ça? 

FLORA. 

Mais vous ne savez donc pas dans quelle retraite nous vi- 
vons ici? 

LE PRINCE. 

| Si fait. Mais il n'y a pas de porte fermée pour le protecteur 
i et l'amt* des artistes. 

FLORA. 

| Camille prétend n'avoir pas besoin d'autre protection que 
| celle du Maestro. 

I.E PRINCE. 

Ah, oui-da! Elle se trompe bien ! 11 est donc jaloux uotmw 
un tigre, le vieux maître? • 

FLORA. 

Oui, jaloux de noire réputation à l’excès. Comment avez- 
I vous fait pour entrer ici sans le rencontrer? 

LE PRINCE, s’asseyant fort a l’aise. 

Je n’ai rencontré personne. Un domestique m’a ouvert une 
porte de jardin. J’ai dit que je n’avais pas besoin d'étre an- 
noncé; j’ai suivi une allée, j’ai trouvé une autre porte, et me 
voici : c’est pas plus malin que ça. Ah çà, ma chère enfant (fl 
regarde sa montre ) , il faut que je sois a Gènes demain soir; 
j*y reste douze heures et je repars pour Naples. Si vous voulez 
que je vous y conduise, prenez vos gants et votre chapeau. 


FLORA. 


Mon Dieu! comme cela? sans réflexion? sans consulter me> 
sœurs? 


LE PRINCE. 


Ça ne me regarde pas, et vos réflexions doivent être faites. 
Vous m’avez dit hier soir au théâtre : « Je veux quitter Milan ! » 
Je vous ai dit : «Vous ferez bien.» Le succès de votre sœur 
empêchera toujours le vôtre. C’était une bêtise de vous faire 
débuter avec elle. Je vous ai avertie, vous n’avez pas voulu 
me croire, à présent vous en mordez vos jolis doigts! Vous 
m’avez demandé si je .pourrais vous faire avoir un engagement 
à Non Carlo. Je vous ai dit qu’il y en avait un vacant cl qu’on 
me le proposait pour une petite personne de ma connaissance ; 
mais que j’étais libre d'en disposer à mon gré, et que je vous 
donnerais la préférence de bon cœur. Je vous répète ce malin 
qu’il n’y a pas à hésiter, vu que je pars pour Naples tout de 
Mille, et que si vous n’éles présentée par moi, vous ne serez 


pas admise. 


FLORA. 


Vous parlez toul de suite ? 

LE PRINCE. 

Mais oui, me voilà en route. J’ai laissé ma voilure à trente 
pas d’ici; j’y ai même fait mettre à tout hasard quelques pa- 
quets pour vous. Je croyais que c’était une affaire arrangée ! 
Voyons, est-il vrai, oui ou non, que vous soyez malheureuse 
dans votre famille? Vous vous faites passer pour une victime ; 
je n'en sais rien, moi ! 


FLORA. 

Oh! je suis malheureuse, n’en doutez pas... Je meurs, j’è- 
touft'c ici! 

LE PRINCE. 

Non, vous éclatez. 

FLORA. 

Toul pour elle ! toujours elle ! Ce n’est pas seulement en pu- 
blic, c’est partout... c'est tout le monde ! 

LF. PRINCE. 


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LE DEMON DU FOYER. 


O 


Dame (tous êtes jolie-, elle en souffre peut-être... 

FLORA. 

Ah! que n’ai-je le droit de haïr Camille!... Mais elle affecte 
avec moi une douceur... des airs de supériorité, de faiblesse 
maternelle... et si j'en rougis, si j'en suis humiliée, on me fait 
passer pour un monstre d'ingratitude. Et le Maestro! je le 
hais, lui ! Je hais les stupides remontrances de la Nina ; je hais 
Milan, ce public impitoyable qui me lorgne et ne m'écoute 
pas! Je hais cette maison où Ion me renferme... par jalousie, 
peut-être. Non, je ne peux pas vivre ainsi, moi, c'est impos- 
sible! Il me faut la liberté, il me faut un autre air que celui 
que je respire, un autre monde, un autre ciel. Tenez, emme- 
nei-moi si c'est possible, ne me laissez pas réfléchir... Je suis 
perdue, mon Dieu! Mais on l'a voulu : on nt'a humiliée! cm- 
menez-moi. 

(EU* va, accablée, s'asseoir sur le divan.) 

LE PRINCE, en fumant. 

Vous croyez que vous serez perdue? Ah çà, qu’est-ce que 
c’est donc que ces idées-là? Est-ce que je vous fais dcscondi- ; 
lions, moi? Mo prenez-vous pour un gazetier ou un directeur i 
de spectacle? Je suis l'ami des artistes, et assez bien pourvu j 
de tout ce qui fait la vie agréable pour être un ami dèsinlé- ; 
ressé. Est-ce que j'ai cherché à vous séduire? Je ne me suis ’ 
pas aperçu de ça. Voyons, il faut vous décider, pourtant. 

FLORA. 

Mais comment partir? on va m’en empêcher! 

LE PRINCE. 

Ah! si vous demandez U permission, c'est bien certain; 
mais si vous ne la demandez pas... Allons, faites comme 1a 
Fausta, comme la Molini, comme la petite Sartori que j'ai 
soustraites aux tyrannies de l'amour ou de la famille, et (|ui 
m’ont dû leur avenir. Les omis sont bons à quelque chose, 
que diuble ! mais il faut le* aider par un peu de courage et de 
résolution. Est-ce qu’il n'est pas dans la destinée des artistes 1 
de brûler une bonne rois leurs vaisseaux? Eh bien? voulez- 
vous iqe donner le bras? 

FLORA. 

Mais si nous rencontrons quelqu’un? 

LF. PRINCE. 

Nous ne rencontrerons peut-être personne. Est-ce que ccilo 
forteresse redoutable n’a pas une poterne, une porte de déga- 
gement? 

FLORA. 

Oui, attendez!... Il faut que j'écrive à ma sœur. 

(Elle va au fond écrire.) 

LE PRINCE. 

Dites que vous partez volontairement, mais ne dites pas oü 
vous allez, c'est inutile !... 

FLORA. 

Ne craignez rien. ( Ellaferm » la Mire , met l'adresse et ca- 
chète la lettre.) Allons! 

LE PRINCE. 

Et voire mantclet ? 

FLORA, agitée. 

Oui, oui, par ici ! 

LE PRINCE, tranquillement, lui montrant son cigare. 

Vous permette/? 

FLORA. 

Venez!.,. 

(IU sortent k gauche.) 


SCÈNE XII. 


LE MAESTRO, entrant le premier, CAMILLE, NINA, 
LE MARQUIS. 


CAMILLE, entrant du fond. 

Eh bien ! où est-elle donc Elle ne veut donc pas se promc 
ncr avec nous? 

(Ouvrant la porte de droite.) 

LE MAESTRO. 

Pouah! Qu'est-ce qui a fumé ici? Est-ce que c'est la Flora 
qui se donne de ces genres-là? 

CAMILLE, appelant. 

Flora! Flora! 

NINA. 

Ah dame ! dlo boude, c’est une fois de plus! 

LE MAESTRO. 

Lai&sez-la faire, ça se passera plus vile. 

CAMILLE, ouvrant l’autre porto de edtê. 

Mais si elle était malade? 

LE MAESTRO, la retenant. 

Elle n’est jamais malade! Ah ça, vas-tu encore lui demander 
pardon des chagrins qu’elle te cause? C'est trop fort. Je te le 
défends. 

CAMILLE. 

O maître! vous êtes a <ssi trop sévère pour el 
LE MAESTRO. 

Je ne le suis pas assez ! 

NINA. 

Tiens, Camille! une lettre pour toi... Eh bien?... on dirait 
son écriture ! 

CAMILLE. 

Dieu I elle m’écrit ! qu’est-ce que cela veut direl 
LE MAESTRO, prenant U lettre. 

Quelque folie ou quelque malice ! Donnez moi ça. 

(Il ouwe la lettre, Camille est plie et tremblante et s'appmc, 
sans eu avoir eon*defte«, sur lo h ras du marquis qui s’est 
élancé vers elle avec intérêt.) 

NINA, lisant A côté du Maestro. 

«Adieu, mes sœurs, oubliez-moi. Je pars sans vous maudire, 
* je vais chercher la liberté. » 

CAMILLE. Elle se laisse presque tomber dans les bras du marqnb. 
Elle s’est tuée ! 

LE MAESTRO. 

Eh non ! elle s’est fait enlever. 

CAMILLE, avec douleur. 

Oh ! mon Dieu ! 

NINA. 

Fl faut empêcher cela ! Beppo, Beppo! 

(Elle va au fon«l, elle revient et aoone avec une clœbeUa qui 
est sur la table.) 


Que faire? Où la retrouver! 

LE MAESTRO, allant k la porte de droite. 

Bah I c'cbi une menace ! Je parie qu'elle est dans sa chambre? 


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)0 


LE DÉMON nr F«YF.n. 


SCÈNE XIII. 


LES PRÉCÉDENTS, BEPPO.' 


BEPPO, ahuri. 

Vous cherchez la signora? Elle csl pallie! 

CAMILLE. 

Par où f comment? 

BEPPO. 

Je viens rie la voir monter dans un beau carrosse do poste, 
six cheveaux, deux postillons, ventre ù terre. 

LE MARQUIS. 

Par quelle route? 

BEPPO. 

La route du Midi. 

NINA. 

Avec qui ? 

BEPPO. 

l’n cavalier bien mis qui est venu (qui à l'heure comme 
pour rendre visite, et qui m’a envoyé chercher sa voilure ar- 
rêtée à l’entrée du village. 

LE MAESTRO. 

Il n'a pas dit son nom? 

BEPPO. . { 

Il a dit : ce n’est pas la peine. J'ai cru qu'il était de la maison, 
moi, je suis tout nouveau ici ! 

LE MAESTRO. 

C’est bon ! va-t’en ! 

(Beppo sort. Le marquis U suit, lui parle et rentre.) 

SCÈNE XIV. 


LE MARQUIS, LE MAESTRO, NINA, CAMILLE. 

CAMILLE, au Maestro. 

Mon ami, il n'y a pas un instant à perdre. 11 faut courir 
après elle! 

LE MAESTRO. 

Qui, moi? que je coure avec mes jambes après une voilure 
A six chevaux ? 

NINA. 

Nous irons tous ! 

LE MAESTRO. 

Ça ne nous fera pas aller plus vile. Nous sommes venus à 
pied, le marquis et moi. Le remise qui vient tous les jours 
vous prendre pour aller au théâtre ne sera ici que dans deux 
heures.. . 

NINA. 

Mais dans le village, on peut louer... allons-y nous-mêmes. 

LE MAESTRO. 

Doucement, pas de bruit, pas d’esclandre ! nous ne rattrape- 
rons pas la poste avec une carriole de louage. Nina, où peut 
vouloir aller votre soeur? Qu'est-ce que vous aviez ce matin 
sur le bout de la langue ? 

NINA. 

Elle nous menaçait depuis quelques jours d'accepter un en- 
gagement qu'on lui proposait ù Naples. 


LE MAESTRO. 

Par quel intermédiaire ? 

NINA. 

Elle ne voulait pas le dire. 

LE MAESTRO. 

Alors, c’est lui ! 

CAMILLE. 

Qui donc? 

LE MAESTRO. 

Le prince ! Mes enfants, prenez-en votre parti, votre sœur 
est perdue ! 

CAMILLE. 

Non !... il csl temps de la sauver ! 

LE MAESTRO, l'arrêtant. 

Vous ne la sauverez pas. Elle courra plus vite que vous, ou 
refusera net de vous suivre. Ne faut-il pas que sa destinée 
s'accomplisse ? 

NINA. 

Quelle destinée donc ? 

LE MAESTRO. 

Celle que cherchent fatalement les êtres qui hai&cni le tra- 
vail : le désordre ! 

CAMILLE. 

La honte !... non ! il n’en sera point ainsi ! je la persuaderai, 
je la ramène r ai. 

NINA 

Oui, oui, tu as raison. Viens 

LE MAESTRO, menant Camille avec autorité. 

Non ! tu n’iras pas. Vous êtes folles ! tu ne t’exposeras pas 
aux quolibets, aux impertinences d’un homme qui ne respecte 
aucune femme! J'irais plutôt moi-même... et j’irai !... 

CAMILLE. 

Hélas! elle vous résistera. Vous ne saurez pas... 

LE MAESTRO. 

Eh bien, quelle aille à tous les diables et quelle se perde 
si bon lui semble ? Qu'est-ce que ça me fait, à moi? huit jours 
plus tôt, huit jours plus tard, elle vous échappera, puisqu’elle 
s'csl mis en tête de se passer de nous. C’est un tyran, un 
fléau que cette fille. Oublions-la, mordieu ! 

CAMILLE, ik Nina, avec énergie. 

Oublier notre sœur! nous? l’enfant que notre pauvre mère 
nous a confiée a son lit rie mort, et dont nous répondons 
devant Dieu! Partons, Nina! nous irons à pied, nous irons 
n'importe comment. Nous irions au bout du momie s'il le fal- 
lait ! et Flora nous marchera sur le corps plutôt que d'entrer 
dans le chemin de l’infamie! Viens, viens! {EUe s'attache à 
Nina.) Non, maître, non! je vous résisterai pour la première 
fois de ma vie! vous abandonnez, vous condamnez... moi 
j’aime, cl j’absous... j’irai! partons! 

(Elle tombe suffoquée de sanglots dan» les bras de Nina.) 


SCÈNE XV. 

LES PRÉCÉDENTS, B5EPPO. 

BEPPO, au marquis, bas. 

Monsieur le marquis, le cheval que vous avez demandé est 
là, et il est bon I 

(Le marquis lui fait signe, Beppo s'éloigne.) 


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LE DEMON Dll FOYER. 


fl 


CAMILLE, connue effrayée, au marquis. 

Ah ! vous nôus quittez? 

LE MARQUIS. 

Camille, écoutcz-moi, je suis votre ami, votre esclave, je 
vous l'ai dit. Vous voulez que voire soeur revienne, elle re- 
viendra! Fallût-il la ramener de force, fallût-il... jo jure par 
ce qu'il y a pour moi de plus sacré au monde, je jure par 
poiu, qu'avant trois jours vous reverrez Flora ! 

CAMILLE, arec effusion. 

Oh ! soyez béni, vous ! 

(Le marquis lui buis« la main.) 


ACTE DEUXIÈME 

Al'Albcrjo Reate, S Oèon* I vieux palaui. lu «alno trt-v riche. Port* au Pntvl. 
Porte* latéral??. 

SCÈNE PREMIÈRE. 


LE P RINCE entre par le fond donnant le bras * FLORA, lissant 
précédés par le DIRETTORB de IMtel, en habit noir, cravate 
blanche, gros favoris, l'air obséquieux. UN-GARÇON de Hiôtel 
et DEUX DOMESTIQUES du prince suivent en portant des 
paquets. 

LE PRINCE, h Flora. 

Eli bien, chère belle, nous voici à Gènes. { II regarde sa mon 
Ire.) En vingt-quatre heures, c’est un peu long. Ce maudit ac- 
cident nous a retardés... Et vous vous êtes impatientée! Ah ! 
vous n’êtes guère patiente, j’ai vu ça! Vous êtes comme était 
laRcllina! (Au directeur de l'hôtel.) Qu’cst-ce que c’est? Ah 
oui, l'appartement! (A Flora.) 11 est bien, n'csl-ee pas? ( A 
demi-voix.) Pour une chambre d’auberge. [Haut.) Madame le 
prend. 

LE DIRECTEUR de drôle!. 

C’est... 

LE PRINCE. 

C’est tout ce qu'il vous plaira, parbleu ! 

LE DIRECTEUR. 

Oh! je sais que Son Excellence ne marchande pas; mais 
c'est que l'appartement n'est libre que jusqu'à demain matin 
sept heures. Il est retenu par une famille anglaise. Mais alors 
il y en aura un autre tout aussi beau qui sera vacant. 

LE PRINCE. 

Demain matin, nous serons partis à cinq heures, par le va- 
peur de Naples. Donc, Madame reste ici. 

LE DIRECTEUR. 

Si Soq Altesse veut voir l'appartement quelle a demandé 
pour elle-même... 

LE PRINCE, it ms laquais. 

Allez voir ça. (Au directeur.) Moi, je m'accommode de tout. 
(Un des laquais sort avec le garçon et la valise du prince. Vautre 
entre à gauche sur l’indication du directeur de t’Iiôtel avec les 
paquets de Flora.) C’est la chambre do la signora? (A Flora.) 
Voyez d’abord si clic vous plaît ! 

FLORA. 


Oh ! je ne suis pas habituée a tant de luxe ! 

LE PRINCE. 

A quelle heure voulez-vous dîner? chère. 

FLORA, préoccupée. 

Je ne sais pas... Quand vous voudrez! 

LE PRINCE. 

Eh bien... dans deux heures? Croyez-vous? 

(Flora fait signe que oui machinalement.) 

LE PRINCE, au directeur. 

Faites-nous dîner dans deux heures. 

LE DIRECTEUR. 

! Où aurais-je l’honneur de faire servir Leurs Excellences?... 
LE PRINCE, h Flora. 

Dites, voulez-vous dîner chez moi , ou me permettez-vous 
de venir dîner ici? ( Flora parait embarrassée.) Aimez-vous 
mieux dîner seule? Faites comme vous voudrez, chère ! 
FLORA. 

Si vous le permettez, alors, je dînerai seule. Je me sens 
très-fatiguée. 

LE PRINCE. 

A votre aise. 

FLORA. 

Vous ne m'en voulez pas? 

LE PRINCE. 

Mot? allons donc! Pourquoi ça? (Au directeur.) Vous ferez 
servir la signora h cinq heures. Mot, je dînerai dehors . 

(Le directeur salue très-bas, et sort avec un laquais du prince. 

SCENE II. 

I 

FLORA, LE PRINCE. 

FLORA. 

Prince, vous me comblez de soins et d'attentions ! Je ne vou- 
drais pas vous être & charge... 

LE PRINCE. 

Ça veut dire qu'il faut que je in'cn aille et que je ne revienne 
pas de la soirée? 

FLORA. 

Vous avez des affaires ici, vous l’avez dit. 

LE PRINCE. 

Et vous, Flora, auriez-vous quelqu'un à voir? 

FLORA, naïvement. 

Moi ? je ne connais personne A Gènes ! 

LE PRINCE. 

Je le crois, au ton dont vous le dites. Mais une fois pour 
toutes , chère , je vous demande une chose , une soûle ! C'est 
d'avoir en moi la plus entière confiance; si vous avez en tête 
quelque petit roman qui vous ait décidée à fuir en ma compa- 
gnie, contez-moi ça tout bonnement. Est-ce que vous me pre- 
nez pour un grondeur comme votre Maestro? 

FLORA. 

Je vous jure que je n’aime et ne veux aimer personno. 

LE PRINCE. 

Tiens! vous êtes comme était la Fèlisina! Mais vous ne tien- 
drez peut-être pas mieux parole qu’elle ! 

FLORA. 

Vous croyez qu’une femme ne peut pas vivre sans amour? 
LE PRINCE. 

Si fait, quand elle est laide, il faut bien qu’elle s’y habitue : 


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LE DEMON DU FOYER. 


15 

et comme vous êtes fort jolie... Mais je ne vous lais pas do | 
compliments, ce sérail de mauvais goût. Vous avez le cœur 
libre, c'est une. bonne situation pour entrer clans la carrière ; 
du théâtre. Un amant est toujours un maître ou un esclave, et 
l’un est aussi embarrassant que l'autre. Prenez donc ceci pour 
votre code particulier : Rester libre cl n’avoir que des amis. 

FLORA sa levant. 

f.ommc on vous calomniait à la maison. Nina prétendait que 
vous me donneriez de mauvais conseils si je causais avec vous. 

LE PRINCE. 

Ah ! cette bonne Nina, elle croit encore aux roués de la ré- 
gence ! Elle les connaît... de réputation ! Elle les a vus au 
théâtre ou dans les romans. Un las de chenapans qui Font cl 
disent les choses les plus bêtes !... C’èuicnt de grands sots, nos 
aimables aïeux, s’ils se conduisaient avec les femmes comme 
on les fait agir dans la littérature moderne! Allons, chère, je 
vous laisse. Changer, de toilette, ça vous reposera. Je vais en 
faire autant cl reviendrai voir si vous n'avez pas d’ordres à me 
donner, et puis j'irai un peu dans le monde... ou au théâtre. 

FLORA. 

Ah ! vous irez au théâtre ? Est-ce qu’il y a des talents ici ? 

LE PRINCE. 

Il y a la Franceschi que je suis en train d’engager pour Lon- 
dres. C’est une belle méthode. Voulez-vous l’entendre? 

FLORA. 

Oh ! je voudrais bien voir si elle a plus de succès que Ca- 
mille! 

LB PRINCE. 

Eli Oen, je vas vous chercher une loge. 

FLORA. 

Attendez! Non t Je ne dois pas me montre 

LE PRINCE. 

Ou’est-cc qui vous connaît, ici? 

FLORA. 

Mais, vous, il n’y a pas une ville d'Italie où vous ne deviez 
être connu de tout le monde? Cela attirerait tout de suite l’at- 


tention sur moi. 

LE PRINCE. 

Oh ! vous ne risquez pas d’être compromise avec moi, chère ! 
On sait que je ne suis pas galant, que j’aime les artistes pour 
l’art... Et, d’ailleurs, allez-vous donc vous soucier de tous les 
sots propos? Au théâtre, voyez- vous, ce n’est pas comme dans 
la vie bourgeoise. Il n’y a pas de vertu qui serve , personne 
n’y croit- On passe pour aimable ou solte, pour savoir se con- 
duire avec esprit ou pour avoir une mauvaise tête, mais on 
ne passe jamais pour invincible, le fût-on bien réellement. 

FLORA. 

Oh! c'est effrayant, ce que vous dites lâ! Le Maestro assurait 
le contraire, pourtant! 

LE PRINCE. 

Le Maestro a ses raisons... vis-â-vis de Camille!... 


Lesquelles donc? 


FLORA. 


LE PRINCE. 

Ça ne vous regarde pas. Allons, viendrez-vous au théâtre? 

Quel mal v voyez-vous? 

* FLORA. 

Aucun, certainement! mat» je n’ose pas! Je ne me suis ja- 
mais montrée en public sans mes sœur*. 

LE PRINCE. 

Alors il fallait donc me dire de les enlever avec vous ! autre- 
ment vous ne sortirez jamais de votre chambre! 


LE PRINCE. 

Ma chère enfant , les mots sont des mois. Dans ce monde, 
tout ça ne prouve pas grand’choso. A force de croire à tout sur 
le compte des femmes, on arrive à n’v plus croire A rien. Faites 
comme je vous dis, c'est-A-dire faites tout ce que vous vou- 
drez. Soyez même vertueuse si c’est votre plaisir, mais ne vous 
.Vissez jamais enchaîner par personne, et quand vous courrez 
ce dangcr-là, consultez-moi, appelez- moi à votre secours, 
vous verrez que je vous dirigerai bien! A tantôt, chère, je 
reviendrai voir si voulez sortir ou rester. 

(Il conduit Flora par U port* de gauche et ta pour sortir lui- 
même par celle du fond. Pendant qu'il s’arrête pour jeter an 
coup-d'tttl significatif vers lu porte que Flora a refermée 
sur elle, le marquis entre par le fond. En se retournant le 
prince se trouve face b lace avec lui. 


SCÈNE III. 

LE PRINCE, LE MARQUIS. 


LE PRINCE, trts-lronquillement. 

Tiens, c’est vous, marquis? par guê hasard ? 

LE MARQUIS, de même. 

Ce n’est point par hasard, prince, je vous cherche. 

LE PRINCE. 

Tant mieux, vraiment ! Ah ça, vous arrivez donc de Venise 
LE MARQUIS. 

J’arrive de Milan. 

J.B PRINCE. 

Vous étiez a Milan? Je n’en savais rien, moi qui en suis parti 
d’hier. Asseyez-vous donc ! 

LE MARQUIS. 

Vous êtes ici... chez vous? 

LE PRINCE. 

Naturellement. Voyons, à quoi puis-je vous être bon â Gènes? 
Ju o’y sois pas pour long-temps, je vous avertis ! Je m’embar- 
que pour Naples au point du jour. 

LE MARQUIS. s'asseyant. 

C’est plus de temps qu’il ne m'en faut pour m’acquitlcr de 
ma commission. Je viens chercher une jeune personne que 
vous emmenez. 

LE PRINCE. 

Ah bah ? 

LE MARQUIS. 

Vrai! 

LE PRINCE. 

Ah! mon cher, que c’est de mauvais goût, ce q le vou» 
faites là! 

LE MARQUIS. 

Je le sais, c’est du plus mauvais goût, cl je le fais. 

LF. PRINCE. 

Vous tenez donc absolument â passer pour un original? 

LE MARQUIS. 

Non, je n’y tiens pas absolument. • 

LE PRINCE. 

F.h Oen, alors, ne faites donc pas de pareilles folies! 

LE MARQUIS. 

Je ferai celle-là, si vous le permettez. 

LE PRINCE. 


FLORA. 

Enlever! Quel mol dites-vous là? Est-ce qu’on pourrait 
croire que vous m’avez enlevée’ 


El si je ne le permets pas ? 

LE MARQUIS. 

Vous êtes libre! 


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LE DEMON DU FOYE?.. 


13 


LE PRINCE. 

C'est donc une querelle que vous me cherchez? Quel drôle 
de corps vous ôtes! 

LE MARQUIS, se levant. 

El si je vous trouvais plaisant de me le dire? 

LE PRINCE, te levant h son tour. 

Oh ! ne nous fâchons pas, je vous en prie ! ce sérail trop ri- 
dicule. ( // eo s'anturer que la porte de Flora etl fermée et re- 
vient. )V oyons, A qui en avez-vous? Je veux bien faire tout ca 
qu'il vous plaira, moi ; je ne suis pas méchant. J'ai donné trop 
de gages dans ma vie pour avoir besoin de faire la mauvaise 
tête, j’espère ! 

LE MARQUIS. 

Je sais qu'à toutes les armes vous êtes le plus redoutable 
duelliste de l'Italie. 

LE PRINCE. 

Et vous? 

LE MARQUIS. 

Moi, je ne me suis encore battu que deux fois, et deux fois 
j'ai été blessé. 

LE PRINCE. 

Alors!... gare à la troisième! Tenez , ça m’ennuierait beau- 
coup de me rencontrer avec un homme malheureux à ce jeu- 
là. Tout peut s'arranger si vous me parlez franchement, 

LE MARQUIS. 

Je le veux bien. 

LF. PRINCE. 

Vous êtes donc l’amant de la petite Flora? 

LE MARQUIS. 

Non- 

LE PRINCE. 

Mais vous voulez l’être? 

LE MARQUIS. 

Dieu m'en garde ! 

LE PRINCE. 

Eh bien, alors... 

LE MARQUIS. 

Je suis amoureux de sa soeur Camille, et j'ai donné ma pa- I 
rôle d’honneur à Camille de lui ramener Flora. 

LE PRINCE. 

Ah ! vous êtes l'amant de la Corsari? Eh éen, j'en suis bien 
aise pour vous, cher! vrai! Je vous en fais compliment, et 
même j'en suis fort jaloux. Comment diable avez-vous fait 
pour l’apprivoiser? 

LE MARQUIS. 

Je ne suis pas son amant, je suis très-épris d’elle, et rien de 
plus. 

LE PRINCE. 

Alors c'est une bêtise! Le vieux Maestro est son amant en 
titre. 

LE MARQUIS, fort tranquillement. 

Vous en avez menti, Monsieur. 

LE PRINCE. 

Hein? 

LE MARQUIS, de même. 

J’ai eu llionneur de vous dire : vous en avez menti. 

LE PRINCE, de même. 

Fort bien! Vous voulez absolument vous battre? Quelle 
diable d’idée vous avez là ! Voyons, mon cher, vous êtes in- 
supportable! Ce que vous voulez n’a ni rime ni raison. Som- 
mes-nous au temps des enlèvements de vive force? Êtes-vous 
assez singulier pour vous imaginer que cette hile ne me suit 
pas de son plein gré ? 

LE MARQUIS. 

Je suis trés-persuadè qu'elle vous suit de son plein grc. 

LE PRINCE. 


Eh bien donc ? me faites-vous un crime de lui avoir conseillé 
de quitter le théâtre de Milan pour cel..’ de Naples? 

LE MARQUIS. 

Je ne m’attribue pas le droit de juger votre conduite. 

LE PRINCE. 

* Vous voyez donc bien que vous avez grand tort de me dire 
des impertinences? Convenez que vous avez eu tort et quit- 
tons-nous bons amis. 

LE MARQUIS. 

J'ai peut-être eu tort, mais il m'est impossible de vous quit- 
ter sans emmener M 1W Flora. 

LE PRINCE. 

Encore! et comment diable vous y prendrez-vous, si clic 
refuse de vous suivre? 

LE MARQUIS. 

Comme je suis très-certain quelle s’v refusera, je suis forcé 
de vous prier de l’abandonner. 

LE PRINCE. 

De mieux en mieux! diable d’homme!... vous m'amusez, 
parole d’honneur! Et... qu'est-ce qu'il faut que je fasse? 

LE MARQUIS. 

I Ecrivcz-dui deux mots pour lui dire que son emploi à San 
I Carlo a été donné, qu'une affaire imprévue vous oblige à par- 
tir pour Venise ou pour Païenne, et que vous lui conseillez de 
retourner dans sa famille. 

LE PRINCE. 

Ah! il faudra que j'aille à Palerme ou à Venise pour vous 
i complaire? 

LE MARQUIS. 

Non, il suffit que vous changiez d'hôtel, ici; je me charge 
du reste. 

LE PRINCE. 

Vous êtes trop bon. Ah ça, parlez-vous sérieusement? 

LE MARQUIS. 

Très-sérieusement. 

LE PRINCE, s’asseyant. 

Convenez qu’il faut que je sois bien patient poor ne pas 
vous envoyer promener. 

LE MARQUIS. 

Refusez-vous ? 

LE PRINCE. 

Belle question * 

LE MARQUIS. 

Alors... 

LE PRINCE, sans se lever. 

Alors, quoi? 

LE MARQUIS. 

Alors, il faut que j'aie llionneur de vous rappeler que je 
vous ai donné tout à l'heure un démenti des plus grossiers. 

LE PRINCE. 

C'est vrai que vous avez été fort grossier. Trop, pour que ce 
fût volontaire et naturel de la part d'un homme comme vous. 
C’est donc la Corsari qui vous a fait jurer de me chercher 
noise? quel chevalier vous faites ! 

LE MARQUIS. 

La signora Corsari ne m’a rien demandé du tout. C'est moi 
qui lui ai juré de vous tuer si vous ne consentiez à lui rendre 
sa sœur. 

LE PRINCE. 

Fort bien ! mais si c’est moi qui vous tue? 

LE MARQUIS. 

Ce ne sera pas ma faute. 

LE PRINCE. 

* Vous voulez qu'elle vous pleure? c'est très -beau ! Allons, je 


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a , 

vous assure que pour moi, ça m'esi tort désagréable! Avçz- 
vous des témoins y 

LE MARQUIS. 

Us sont tout prftls. 

LE PRINCE. 

Vous mo donner» bion un quart^Theure pour trouver les 
mit us? 

LE MARQUIS. 

Un qiiart-d'hcure, pas davantage. 

LE PRINCE. 

Je vous trouve charmant! non! d’honneur, c'est charmant! 
Attendez ! je vas dire A la petite que je sors. 

LE MARQUIS, *e mettant devant la porta de Flora. 

Pardon! vous ne lui parlerez pas avant de sortir avec 
moi... 

LE PRINCE. 

Mais, mon cher, j’ai envie de voua traiter comme un fou 
que vous êtes, et de vous jeter par les fenêtres. 

LE MARQUIS. 

Ça, c’est plus difficile que de me tuer en duel. Je suis très- 
fort aux armes naturelle* et je frappe comme un marteau de 
força. 

LE PRINCE. 

Allons! je n’entends rien, moi, au duel des orocholnurs! 
Venez, puisqu’il n’v a pas moyen de se débarrasser de vous 
autrement! Avez-vous des pistolets, au moins! 

LE MARQUIS. 

Non ! mais vous devez avoir les vôtres. 

* LE PRINCE. 

Je ne me bats pas avec. Je les connais trop... d ailleurs c'est 
trop sérieux avec moi... Je suis un peu moins fort k l’épéc. fit 
vous? 

LE MARQUIS. 

Mol, je n*ai rien h dire, Je suis l’agresseur. 

LE PRINCE. 

A l'épée donc! Tenez! nous irons dans le jardin du comte 
Fortuni. J’y ai déjà au une affaire, et il doit être chez lui, à 
celle heure-ci. Dépêchons-nous, jo veux mener au spectacle 
cette pauvre petite A qui vous prétendez ravir son protecteur! 
(Il va chercher son étui à ci/} ares, en prend un, le met dans ta 
bouche , en offre un au marquis qui refuse poliment.) Voulez- 
vous’... Sacrebleu, que vous m’ennuyez avec votre fantaisie ! 
je ne voulais plus avoir de ces histoires-là. 

LE MARQUIS. 

J’en suis désolé, mais... 

LE PRINCE. 


E DEMON Dll FOYER. 

[ mais je ne sortirai pas avec lui... on croirait peut-être qu’il 
I m’enlève en effet... et j’en rougirais ! ah ! ce n’est pas pour lui 
que je me résignerais à être calomoièo! n’y pensons plus... 
mais si c est là le commencement de ma liberté, je vais bien 
i m’ennuyer, moi ! (E/le s'assied tristement.) U faut donc tou- 
jours dépendre de quelqu’un, ne fùt-ce que de soi-même! ... 
Ah! Camille, tu ne t’ennuies jamais!... j'oublierai !... je serai 
i belle, insouciante, gaie!... je n’enlcndraî plus applaudir cl 
louer Camille!... 

(Elle se retourne e» volt Camille derrière elle. Elle fait un cri et 
eaehe sa Egaré dans ses mains.) 


Passez ! 


Après vous. 


(Ils sortent.) 


LE MARQUIS. 


SCÈNE IV. 


F LOR A seuls, elle sort de a* chambre , «Ile a une suüre coiffure 
et un autre muntclet. 

Cette voix... ai-je rêvé? c'était la sienne! {Elle va à la porte 
et regarde.) Je ne vois pas sa ligure... mais c’est lui, c'est le 
Marquis! est-ce possible? pourquoi viendrait-il ici? Non, je 
suis folle ! il n’a ni l'envie ni le droit de courir après moi... ce 
n’est pas moi qui lui plais ! il se garderait bien de quitter Ca- 1 
mille, il l'aime ! Eh ! que m'importe ! le Prince a raison, je ne 
dois aiioer personne I ce pauvre Prince ! il est bon et loyal ; 


SCÈNE V. 

CAMILLE, FLORA. 

CAMILLE, entrant du fond, se jetant à sou cou. 

Ma sœur! ma Flora, ma bien aimée !... {Elle ta courre de 
baisers.) Embrasse -moi donc! je suis si heureuso de te 
revoir I 

FLORA. 

Oui, oui, bonjour, Camille. Pourquoi es-tu venue ici ? Qu'est- 
ce que tu me veux ? 

CAMILLE. 

Ce que je veux! c’est toi que je veux sauver et ravoir! je ne 
veux pas qu’on me vola ma sœur, moi! 

FLORA. 

Tu ne veux pas?... ainsi, lu as couru après moi? est-ee que 
tu es seule? 

CAMILLE. 

Non, Nina et le Maestro sont venu». 

FLORA. 

Ah ! le Maestro? le conciliateur est bien choisi ! 

CAMILLE. 

Comment! lui, qui, au milieu du plus beau succès de sa vie, 
consent à me laisser partir, à m’accompagner, a laisser dou- 
bler nos rôles... tout cela pour toi... 

FLORA. 

Comme je ne compte pas l’cn remercier , je désire ne pas le 
voir. Je suis ici, chez moi. 

CAMILLE. 

Chez toi, pauvre enfant!.. . 

FLORA. 

Camille, si vous venez pour m’insulter par vos soupçon#... 

CAMILLE 

Des soupçons? non ! je n'en ai pas, moi! mais lu es aigrie, 
je m'en doutais bien ! «usai ai je voulu le voir seule d’abord ! 
car tu n’as rien contre moi, et tu vas revenir tout de suite : 
dis! chère petite? il le faut, vois-tu? 

FLORA. 

Et pourquoi ça? 

CAMILLE. 

Tu le demandes? ch bien... pour moi d'abord! |K>ur que je 
ne meure pas de chagrin ? est-ce que tu ne m'aimes plus? est- 
ce que tu n'aurais pas pitié de moi? 

FLORA. 

PUié de toi l quelle ironie! ali ! qu’il y a de mépris dans la 
douceur, ma pauvre Camille! 

CAMILLE. 

Du mépris? est-ce à moi que lu dis cela? 

FLORA 


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I.E DRUON DU FOYER. 


15 


Eh bien, oui, c'eût toi que je quiue» c'est toi que je fuis, c'est 
toi qui me tues? 

CAMILLE. 

C'est donc vrai? O ma sccur! que tu me fais de mal? Mon 
Dieu? je croyais t'avoir si bien aimée! Depuis le jour où notre 
mère nous laissa orphelines... j'avais douze ans... et j'avais 
déjà renoncé à vivre pour moi-même. Déjà je sentais que je 
me devais à loi tout entière ! Je comprenais bien que Nina, 
celante de dévouement et de courage, manquait parfois d'a- 
dresse pour le convaincre et le diriger. Je m'en attribuais da- 
vantage. Mc suis-je donc trompée? Où est le mol blessant, ou 
seulement froid, que je t'aie jamais dit? Quel est celui de tes 
désirs, de tes caprices que je n’aie pas contenté ? O Flora ? 
voici la première fois que je remets sous tes yeux une vie de 
tendresse et d’abnégation que je l'ai consacrée... Ne prends 
pas cela pour un reproche; c’est toi qui me forces à me justi- 
fier. Pardonne-lc-moi ! Quand on supplie l'objet aimé, on ne 
veut pas être méconnu; on a le droit de lui montrer qu'on le 
préfère a soi-même? 

FLORA. 

Eh bien, Camille... je veux te croire... Oui, tu m'aimes... 
oui, tu m'as toujours aimée... Mais tu nu» peut-être pas tou- 
jours fait ton possible pour ne pas m'écraser de ta supériorité 
Il fallait attendre pour te produire au grand jour que jeu toc 
autant de talent que toi. 

CAMILLE. 

Elle me reproche cela aussi ! Elle ne se souvient plus de 
rien! Moi, qui avais l’effroi et la haine du théâtre! moi, qui 
n'aimais que la retraite, la campagne, la vie intime! Elle a 
déjà oublié que je n'ai consenti a débuter que pour lui procu- 
rer un peu de richesse et do luxe, à elle ! 

FLORA. 

C'est vrai, Camille ! ccsl moi qui t'ai tourmentée pour signer 
ton engagement! J'étais folle... Comment as-tu pu m'écouter, 
toi qui étais si sage? Eh bien, vois-tu, ce sont les débuts, c’est 
ton succès qui m’ont anéantie ! 0 Camille! tu n'as rien compris 
à la matinée d'hier? 

CAMILLE. 

Hier? non! que s'étail-il donc passé? Je ne m’en souviens 
plus, moi! J'ai la tête brisée! 

FLORA. 

Hier... il est venu cher, nous un jeune homme riche, beau, 
charmant! l'air aisé d'un grand seigneur avec l'âme ardente 
d'un artiste... J'aurais pu l'aimer peut-être, cet homme-là .. Il 
n'avait rien de ce qui me rond dédaigneuse pour le» autres. Il 
arrive, il me prend pour loi : comment cola se fait-il? je n'en 
sais rien... Peut-être parce que j'avais une belle robe et de 
l'assurance. Il me parla... avec quelle passion, quel enthou- 
siasme et quel respect! Ah! Camille, tout ce qu’il ta dit en me 
parlant a laissé là... une trace brûlante, un monde de délices, 
d'orgueil, de rage cl de honte!... Et moi, je ne m’apercevais 
pas de sa méprise! Je buvais le poison de scs louanges mau- 
dites!... Tu lui es apparue. Il s'est avisé de son erreur... cl, 
dés ce moment, il a su trouver pour toi des louanges plus 
exquises, des adorations plus humbles et plus tendres que 
toutes celles qu'il m'avait adressées. Tu ea devenue son Dieu, 
et moi, je n'ai plus été pour lui que l'enfant gâté dont on raille 
les caprices cl à qui on fait la leçon. 0 Camille ! cct homme 
m'a perdue; car il a mis, entre toi et moi, un abîme de déses- 
poir et de jalousie que rien ne pourra combler! 

CAMILLE, troublée. 

Dis-moi, Flora, ce jeune homme, l'as-lu vu depuis que lu 
es ici ? 

FLORA. 


Lui? ici’ C’était donc lu»? J’en étais sûre! Il est venu avec 
toi! 

CAMILLE. 

Il est parti seul, le premier, pour le suivre, pour te sauver. 

FLORA. 

Pour me sauver, lui? 11 m'aimcrail donc * 

CAMILLE. 

Qui sait? Pourquoi non? Ce que je l’aflirme, c'est qu'il u fait 
serment de le ramener... e'est qu’il te cherche. 

FLORA. 

Camille, tu me trompes : c’est toi qu’il aime ! Aie donc la 
franchise et le courage de me le dire! 

CAMILLE. 

Quel air de menace! Est-il possible, 6 mon Dieu ! que pour 
un étranger, pour un inconnu, ma soeur me maudisse et m’a- 
bandonne ! 

FLORA. 

Tu ne m’abandonnerais donc pas pour lui, toi? Eh bien, 
écoule. Tu veux que je retourne avec loi? 

CAMILLE. 

Si je le veux! Ne le veux-tu donc pas aussi ? 


A une condition. Tu ne permettras pas à cet homme de l'ai- 
lier. Il ne te parlera plu». Tu no lo reverrai jamais. 

CAMILLE. 

Est-ce sérieux, ce que tu demandes là? Quelle folie! Tu crois 
donc... 

FLORA. 

Camille, tu hésites, tu l’aimes I 
CAMILLE- 

Comment pourrais-je déjà l'aimer? Mais si cela était, le sa- 
crifice aurait quelque mérite, et je serais heureuse de le faire 
pour te sauver. 

FLORA. 

Avec ou sans mérite, fais-lo donc, ie 'exige. 

CAMILLE. 

Eh bien, je le ferai. 

FLORA. 

Tu le jures? 

CAMILLE. 

Je m'y engage. Tu va» revenir? 

FLORA. 

Partons! 

CAMILLE. r«a»hr*uant. 

Oh merci, merci, ma w*ur ! 

{Elle va «u fond.) . 

FLORA, à part. 

Alt ! je serai vengée de lui I 

CAMILLE, revenant. 

Voilà Nipa. Tu veux bioo la revoir, à présent? Elle va être 
si heureuse I 

{Elle va «a devant de Nina et du maestro qui entrent par le fond.) 


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LE DEMON DU FOYER. 


If. 


SCÈNE VI. 

FLORA, CAMILLE, NINA, LE MAESTRO. 

NINA, courant h Flora. 

Ah ? méchante, cruelle enfant ! vilaine folle ! nous as-tu fait 
du mal ! 

{Elle l'embrasse en pleurant.) 

CAMILLE, h Nina. 

Oh! pas de reproches! tu me l'as promis! 

FLORA. 

Laisse-la dire, si ça lui fait du bien. El vous, signer Maes- 
tro? vous ne me dites rien? voyons, les quolibets, les duretés 
d’habitude! vous devez en avoir fait provision en voyage? 

LE MAESTRO, d'un loti rade qui dément ses intentions. 

Flora, mon enfant, vous me voyez fort sérieux et fort triste. 
Tant mieux pour vous, si vous pouvez être en humeur de 
plaisanter : quant, ft moi, au lieu de faire provision d'ironie 
ou d'amertume contre vous, je me suis laissé gagner par la 
pitié, et c'est du fond de mon âme que je vous plains au- 
jourd'hui! 

FLORA. 

Maître , eette pitié est fort charitable peut-être , mais je 
vous prie de me la garder pour le jour où je sentirai en avoir 
besoin. 

NINA. 

Allons, voilà que vous recommencez déjà à vous que- , 
relier? 

LE MAESTRO. 

Non, ma bonne âme, sois tranquille. Je serai juste et pater- ! 
ncl avec elle ; car j'ai fait bien des réflexions en venant ici. Je j 
me suis surtout demandé si je n'étais pas coupable de sa 
faute. 

* FLORA. « radouemaant. 

Vraiment, maître? et si je vous disais qu'en cfTct... 

LE MAESTRO. 

Dites, ditcs-le, ma panvre Flora, afin que cela ne m'arrive 
plus. Oh ! je sais bien que j'ai été trop doux, trop faible! n'est- 
ce pas, c'est U mon tort? c'est moi, surtout, qui vous ai 
gâtée? 

FLORA, riant avec dédain. 

Vous? ah! par exemple, voilà qui prouve comme on se con- 
nati et comme on se juge soi-même, vraiment? vous vous re- 
pentez de votre indulgence envers moi ! 

LE MAESTRO, naïvement. 

Sans doute! alors, que me reprochez-vous donc? 

CAMILLE. 

Rien ! elle vous aime, elle est bonne, elle est raisonnable. 
Elle revient avec nous. Prends ton mantelet, Flora, et allons- 
tious-cn bien vile. 

MNA, voyant Flora prendre un mantelet élégant. 

Pas celui-là. 11 n’est pas à toi. 

FLORA, jetant le mantelet avec répugnance, mai» se défendant. 

Si fait. Je l'ai acheté en voyage. 

NINA, baissant la voix. 

Avec quoi? ta avais oublié ta bourse. 

CAMILLE. 

Il n’est pas joli, j’aimais mieux le tien. {Elle lui met le man- 
telet au'à la première seine Flora a laissé sur une chaise cl C cin- 
trasse.) Allons, sois gaie, sois aimable! tu n'auras plus de 
chagrins avec nous, n'est-ce pas? tu seras heureuse? 


FLORA, s'arrangeant pour partir. 

Peut-on l’être quand on se sent haïe? 

' NINA. 

Eh bien? qui donc te hait, chez nous? 

FLORA, montrant le maestro. 

Lui! 

LE MAESTRO. 

Moi? est-ce que vous pensez ce que vous dites là, Flora? 

FLORA. 

Vous ne dites pourtant pas le contraire? 

LE MAESTRO, lui prenant le bras. 

Ecoute, enfant, injuste cœur, crois-tu donc que si j'avais 
sur toi le droit qu'un père a sur sa fille, je ne t'étranglerais 
pas de mes propres mains, dans ce moment-ci ? ne vois-tu pas 
que, pour laisser tes sœurs reprendre avec elles une fille per- 
due, il faut que je sois stupide et débonnaire â l'excès? tu 
in'as souvent reproché ma partialité pour Camille; c'est pos- 
sible... une sympathie particulière, une préférence d'artiste... 
que sais-je! eh bien, vois tu, c'est â cause de cela que je te 
ménage, afin qu'on ne dise pas que je te sacrifie; autrement 
je te renverrais sur l'heure avec tes pareilles, et je ne te re- 
tiendrais pas sur le penchant do vice. 

FLORA k Camille, exaspérée. 

Voilà les douceurs et les ménagements que tu me pro- 
mettais! 

CAMILLE. 

0 maître! vous manquez à vos serments ! 

LE MAESTRO. 

Qu’ai-je donc dit de trop ? veut-elle qué je rie de sa situation 
et que je l’encourage à y retomber? ne sait-elle pas que trois 
tours de roue dans le carrosse qui la amenée ici devaient suf- 
fire à la perdre de réputation? 

FLORA. 

Oh! que dit-il! l’homme cruel! voyez comme il me hait! 
comme il me tue! (Elle se jette dans le sein lieCamiUe.) C'est 
donc vrai, ce qu’il dit? que je suis déshonorée, moi? 

NINA, la rarrssant. 

Non, non! on ne le saura pas, nous le nierons mordieus, et 
si le prince en parle, on dira qu'il en a menti ! 

FLORA. 

On ne vous croira pas, et vous allez rougir de moi, vous 
autres! 

CAMILLE, l'embraasaot. 

Non ! la terre entière l'accuserait que je ne t'en aimerais que 
davantage. Oui, oui, serro-toi contre mon cœur, voilà ton 
refuge ! 

FLORA. 

Camille!... tu es bonne!... mais lui! (Montrant te Maestro.) 
il est impitoyable! 

LE MAESTRO. 

Non, Flora, repentez-vous, et je ne vous parlerai jamais du 
passé. Mais il faut le réparer. 

FLORA. 

Que faut-il donc faire pour cela, selon vous? 

I.E MAESTRO. 

i Une chose bien simple. ( Lui montrant ses sieurs.) Il faut 
I aimer qui vous aime. 

FLORA. 

Mes sœurs... oui! clics m’aiment, je le sens! mais vous... 
oh vous!.,. 

LE MAESTRO. 

Moi, je vous aime aussi, Flora, car je vous déferrai, cl 


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LE DEMON DU FOYER. 


17 


croyei bien que l'affection cl la protection U'uu honnête’ 
homme ne sont plus à dédaigner pour vous. 

FLORA, k Camille. ■ 

Oh ! Dieu ! tu lentcnds ! chaque mol qu'il me dit est un coup 
de poignard ! je n'ai plus droit à l'estime! Un honnête homme | 
ne pourrait plus m'aimer que par pitié, et a cause de toi, peut- j 
être ! {D'une voix étouffée en lui montrant le marquis qui entre 
par la porte du fond.) Tiens! tiens, regarde ! le voilà ! 


SCENE VII. 

LES PRÉCÉDENTS, LK MARQUIS. 

LE MAESTRO, courant k lui. 

Ah ! enlin ! j'étais diablement inquiet de vous ! 

LE MARQUIS, un peu pâle et moufle, apres avoir serré 
les mains du Maestro. 

Ali ! Camille ! Maestro ! chère Nina! ( regardant Flora.) La ! 
voilà! vous êtes heureuses! 

FLORA. 

Allons, monsieur le marquis! puisque vous prenez tant «le 
part aux secrets de la famille, adressez -moi doue aussi votre 
réprimande ! 

LC MARQUIS. 

Non, Signora, tel n'est pas mon rôle, je m’étais chargé d’ar- 
river à temps pour préserver votre réputation, j'ai eu le bon- 
heur d'y parvenir. La personuc qui avait surpris votre con- 
fiance n‘cn abusera pas. Elle va partir 

LE MAESTRO. 

Vous avez donc vu le Prince? 

CAMILLE. 

Mon Dieu, no vous êtes-vous point querellés ensemble! 

LE MARQUIS. 

Soyez tranquille, nous sommes maintenant dans les meil- 
leurs termes, cl l'issue de notre explication est celle-ci : je 
n'ai rien à refuser à la divine Corsari, a-t-il dit; j'eusse obéi a 
une lettre d'cllc; mais puisqu'elle a jugé a propos d'employer 
un intermédiaire, je déclare devant témoins que je n'ai aucune 
prétention {avec intention), aucun droit contraire & sa volonté, 
et que je remettrai sa sueur entre scs propres mains. 

CAMILLE, au marquis. 

Merci ! 

(Elle lui tend la main.) 

LE MARQUIS. 

C’est moi qui vous dis merci, Camille! à vous, qui m'avez 
permis de faire quelque chose pour vous! 

FLORA. 

Monsieur le marquis craint qu'on ne lui attribue un peu d’in- 
térêt pour moi-même dans tout ceci ! 

LE MARQUIS. 

Oui, Signora, je le craindrais, cl si vous connaissiez la mé- 
chanceté du monde, vous trouveriez bien naturelle la fran- 
chise avec laquelle j'ai dû agir. Ecoutez, Camille ! (Au Maestro 
et à Nina.) Vous aussi!... Je ne devais pas laisser prendre le 
change sur le motif qui me faisait provoquer une explication 
de la part du Priuce. Je n'ai donc pas hésité à lui dire mes 
vrais sentiments... 

CAMILLE. 

Pardon... je ue comprends pas. 


LE MARQUIS. 

Alors, permette z-moi de vous les dire à vous-même. 

LE MAESTRO. 

Vous êtes pale, mon ami, qu’avez-vous donc? 

LE MARQUIS. 

Rien! Je me suis hélé, j'ai couru!... et puis une émotion 
profonde!... 

LE MAESTRO. 

Quoi donc? Vous nous effrayez! vous palissez davantage ! 

LE MARQUIS. 

Oui, je veux parler... je sens que je le dois et que le temps 
presse. Je ne veux laisser croire à personne qu'en me décla- 
rant tout haut le champion, le chevalier de Camille, je nour- 
rissais ücs espérances indignes d'une femme comme elle. 
{Très-ému.) Muitre... aidez-moi... protégez-mot, grand Dieu! 
car ceci est le moment le plus solennel de ma vie! 

LE MAESTRO. 

Comme vous tremblez! Paolino, vous souffrez? 

LE MARQUIS. 

Oui! et si celte angoisse se prolonge, il me semble que je 
vais mourir. Camille!... (S'appuyant instinctivement tur le 
maestro et tremblant visiblement.. Laissez- moi vous dire de- 
vant lui... {Il montre le Maestro j, devant elle (/< montre ta Nina) 
que je vous aime avec passion ! que du moment où je vous ai 
entendue, j’ai senti que j'étais l'amant de votre génie; que, 
du moment où je vous ai vue , j’ai senti que j'étais l'époux de 
votre âme. Ah ! béni soit ce jour où j'ai vu comme vous savez 
aimer! Eh bien, c'est ainsi que j'aime, moi, Camille! Je suis 
riche. .. oh ! peu vous importe, je le sais, mais je remercie ma 
position qui me fait indépendant : je suis le dernier de ma fa- 
mille, je ne me dois à personne qu'à Dieu et à vous. J’ai un 
nom sans tache, ma vie a toujours été pure : par-là, du moins, 
je suis digne de vous, et, pour tout le reste , le cumr, le dé- 
vouement, l’adoration suppléeront à ce qui me mauque pour 
être votre égal. Camille, accoplcz-moi pour votre appui, pour 
votre époux, et vous ferez de moi le plus reconnaissant, le 
, plus fier des hommes ! 

(U s'ett mis a genoux./ 
CAMILLE épenlae, regardant Flora. 

O mon Dieu ! 

LE MAESTRO, relevant le marquis qui *e soutient k peine. 

O Paolino! mon enfant! mon fils! Oui, oui, il dit ce qu'il 
pense, Camille ! C’est un homme de cœur et de parole, Ini! 
Je le connais, je l'ai élevé! Il n'a pas changé , il ne changera 
pas! Réponds-lui, accepte! mets ta main dans la sienne : c'est 
moi qui suis sa caution ! 

NINA. 

Oh ! U est sincère, je le vois bien, parle-lui, Camille! 

FLORA, hors d'ellc-uiême. 

Eh bien, oui, Camille, parle donc! 

CAMILLE, avec effort. 

Monsieur le marquis, je suis honorée... reconnaissante... 
mais... tcncil cest impossible!... Je ne suis plus libre de vous 

écouter. 

(Lu marquis se relève, met sa main sur u poitrine et reste 
comme pétrifié, debout, le regard fixe.) 

LE MAESTRO. 

Vous n'étes plus libre? Camille. 

CAMILLE, ave effort. 

Non, inaitrcl... Parlons, mes soeurs! Je ne puis rester ict 
| plus longtemps. 


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LE DÉMON DD FOYER. 


10 

LC MAESTRO. 

Eh bien» oui. parte* !... Parte* tout de suite ! La toiture qui 
nous a amenés ici vous attend ! Moi, je reste pour consoler l'ami 
que vous me tuez! 

NINA. 

Mais c'est impossible... elle ne... 

LE MAESTRO, arec força. 

Emmenez- la > je le veux! No voyez-vous pas comme il 
souffre T 

' NINA, résistant k Camille qui vont l'emmener. 

Qu'osl-ce qu'il a donc? On dirait... 

FLORA, k part. 

Oh! comme il l’aime! 

LE MAESTRO, le aecount. 

Ami, ami ! Paolino !... je suis là, moi. .. je ne te quitte pas... 
Esi-co que lu ne m’entends plus? 

LE MARQUIS. 

Pardon, pardon, mon ami! sortons! je me sens bien mal. 

SCÈNE VIII. 


LE PRINCE, alliiui ver* la porte de gauche qui est restée 
entrouverte, cl *‘y arrêtant uu iuaUnl. 

Qui sait ! J’en-scruis désolé, car, en tin de compte, s'il est un 
peu fou. c'est un très-galant homme! 

RIMA. 

Oui! c’c&l un fou, à vos yeux, celui qui défend l'honucur 
; d'une pauvre famille ! 

CiMllLÏ, k Jcoil-.mi, 

Ne parle pas à cet homme-là, ma sœur! 

LE PRINCE, qui l’a entendue. 

Al» ! voila un cruel reproche, Signora, et de la part d'une Je 
, nos gloires, il m'est fort sensible. Allons, j'espère me faire par- 
donner un jour : en attendant, je peux bien vous jurer que je 
u’ai jamais eu le dessein... 

CAMILLE. 

Pardon, Prince, line pareille explication entre nous serait 
trop délicate ; épargnez-la-moi... Dans ee moment surtout!... 
A S ma.) Ne peut-on savoir de ses nouvelles ! 

LE PRINCE, toujours avec usance. 

Tout ce que je peux vous en dire c'est que j'ai fait mon pos- 
sible pour ménager votre chevalier, et que je n'ai jamais vu 
d'homme plus déterminé a donner sa vie pour une femme ! 


LES MÊMES, LB PRINCE, me ua ehlrurgieo qu’il ftut pk»»*r 
le premier, et qui prend Feutre fora* du marquis. 

LE PRINCE. 

Venex vite, docteur 1 II se trouve mal... J’en étais sùr!... 
U !... cette chambre est libre ! (/I Us conduit a Ut ehamkre de 
Flora.) — (Au Marquis .) On von» l'avait bien dit, mon citer, 
qu'il voua fallait du repos ! 

(U l’emméne ver» la chambra de gauche.) 

LE MAESTRO, le suivant. 


FLORA. 

AI»! voua l'avez tué, ie parie! 

LE PRINCE. 

El vous aussi, ingrate? des reproches? 

(Il entre dans la chambre de gauche.) 

SCÈNE X. 

CAMILLE, FLORA, NINA. 


QuVt-il donc? 

LE PRINCE. 

Pardieu ! il est blessé ! 

LE MAESTRO. 

Blessé ? comme vous dites ça T 

(Il suit le Marquis avec empressement et entre k gauche uvcc le 
docteur qui soutient ie marquis.) 

LE PRINCE. 

Eh bien, comment veut-il donc que je le dise? 


SCÈNE IX. 

LE PRINCE, CAMILLE, FLORA, NINA. 


FLORA, trfs-agitéf. 

Blessé, mon Dieu ! Avec qui donc s'est-il battu? 


Tu le demandes ! 

FLORA, au Prince. 


Avec vous? 

CAMILLE, pèle et tremblante. 
El pour loi, malheureuse enfant! 

FLORA. 

Ah ciel!,,. Est-ce qu'il est en danger? 


NINA, k Camille qui est retombée sur sa chaise. 

Camille, tu semblés malade aussi, toi? Ah! tout cela te fait 
du mal, pauvre bon coeur!... comment donc ça se fait- il quo 
la n’aies pas pu lui dire un mot de consolation en le quittant? 

CAMILLE, fondant «a lames. 

Ali ! c'est moi qui le tue ! 

FLORA. 

| Tu l'aimais, Camille!... tu pleures!... tu l'aimes!!... 

CAMILLE. 

Je »>n sais rien! mais que t'importe» a présent qu'il va 
mourir? 

FLORA. 

Mourir!,., mais ce serait affreux!... 


SCÈNE XI. 

CAMILLE, FLORA, NINA. LE MAESTRO, 
sortant de In chambre oti est le marquis. 


EU bien ? 


FLORA, courant k lai. 


LE MAESTRO. 

Qui, quoi? Qu'est-cc que vous demande*? 


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LE DEMOS DU FOYF.R. 


i9 


FLORA. 

Coimueni va-t-il Ÿ 

LE MAESTRO. 

Est-ce que ça voua regarde, voua ? 

CAMILLE. 

Esl-ce une blessure grave 1 

LE MAESTRO. 

Esl-ce que ça fin Presse, loi ? Laissez-moi, je ne connais 
plus aucune de vous! 

NINA. 

Eh bien, cl moi ? 


FLORA, h genoux. 

Maure, bénisatz Camille el mauiiissca-mol, c'est moi qui .sois 
coupable. 

LE MAESTRO. 

Eh! nous le savons! H ne s’agit plus de ça! 

FLORA. 

Non, vous ne le savez pas ! J’ai élé pis que folle, j’ai été 
mauvaise, envieuse !... c'est moi qui lui ai diclè un refus... un 
mensonge! 

LE MAESTRO. 

Toiî... ah ça, c'esl donc un démon que celle fdlo-|& ! 


LE MAESTRO. 

Ni vous non plus. Est-ce ainsi que vous avez surveillé vos 
sœurs? Je me reposais sur vous aveuglément, sottement.,. En 
voici une qui se fait enlever... l’autre... 

FLORA. 

Eh bien l’autre ?.. que reprochez-vous à Camille? 

LE MAESTRO. 

Je ne vous parle pas! Je lui reproche d’avoir désolé ma 
vieillesse el flétri mon cœur par son manque de confiance en 
moi, par son manque de dignité envers elle-mémo peut-être ! 

CAMILLE. 

Oh! mon ami !... 

LE MAESTRO. 

Qu’est-ce que c’est donc. Mademoiselle, qu’un engagement 
si secret qu’un ami comme moi doive l’ignorer? Celui que vous 
avez choisi ne peut ôlrc qu’indigne de vou&Muisquc vous nu* 
l’avez caché si bien!... nommc&-le donc, v$*mÿ! je vous eu 
délie!..* 


CAMILLE. 

Non, maître? la pauvre Flora aime voire ami, el moi... qui 

ne l'aimais pas... 

FLORA. 

Tu mens ! El quant » moi, tu te trompe». Je ne l'aime pas, 
j‘u n aime personne... que loi... et Nina, et voua, maître, ai vous 
ïouIm me pardonner. C'était de l'orgueil, do dépit, rien de 
|du», je le jure; reprends Ion serment, rna sœur, je l'eiiec, sois 
heureuse ! 

CAMILLE, l'embrassant. 

Merci, Flora ! mais c’est impossible. Pour me rétracter après 
ce que j'ai dit, il faudrait expliquer ce qui s’est passé entre 
nous. L’humilicr devant le Marquis... (EIU r relève ta saur.) Te 
faire une situation inacceptable auprès de nous!... jamais! 
et d ailleurs, à quoi bon tout cela? ne scns-lu pas, au silence 
du maître, que celui qui est la... va mourir? 

(Aq moment un elle désigne la chambre de gauche, te Marquis 
en sort.) 

,■ •» 

SCÈNE XII. 


( Camille garde le silence.) Vous voyez bien? vous vous laissez ! 
c est bien! moi, je vous abandonne... Je devrais vous maudire ! 
CAMILLE. 

Ah ! tuez-moi tout de suite, si vous ne m’aimez plus! 

LE MAESTRO, cmu. 


LE MAESTRO, CAMILLE, PLORA, NINA, LB MAR- 
QUIS, LE PRINCE. Camille n'ose quitter ta place. Le Marquis 
moins faible, niais toujours très-pile, sc dégage doucemeat du Prince 
qui le soutenait et fait un pas vers Camille. 


T’aimer... (En colere.) Non, je ne veux plus t’alua. ! Pour- 
quoi aimer des enfants ingrats! Est-ce que tu in’aimes, toi qui 
as disposé de ton avenir sans mon aveu ? 

CAMILLE, h aa sœur. 

Oh Floral lu n’avais pas prévu que j’aurais tout cela a souf- 
frir! 

NINA, au Maestro d'un ton de reproche 

Ah ! tenez ! Vous avez des moments, vous ! où, si l'on ne vous ! 
aimait pas, on vous détesterait ! Voyez doue le chagrin que 1 
vous lui faites !... 

LE MAESTRO. 

Eh bien, quelle se confesse, qu’elle sc repente, et si elle a j 
pris quelque parti absurde, que lie y renonce ! 

NINA. 

Voyons, au fail, dis-nous la vérilè. 

CAMILLE. 

Ah ! ne m'interrogez pas. Consolez- moi, soutenez-moi. J’cn 
ai plus besoin que vous no pensez, car je souffre plusque vous- 
mfimes, cl c’est peut-être plus que je non peux supporter. 

(Elle tombe étouffée de larmes sur la chaise de droite. Le 1 
Maestro ému fait un pas vers elle. Flora lé relient et plie 
les genoux devant lui.) 

LE MAESTRO. 

Eh bien, qu'est-ce que vous voulez, vous? 


LE MARQUIS. 

Signora, je regrette vivement qu’on vous ait causé un mo- 
ment de trouble et de retard, pour cette blessure qui est sans 
gravité. J’cn emporte une plus profonde et plus douloureuse. 
Vous êtes trop grande cl trop bonne pour ne pas me plaindre ; 
mais ne vous faites aucun reproche. En vous quittant pour 
jamais, j ai besoin de vous dire que mon amour-propre n’est 
l»oinl ici en jeu, et que je pars pénétré d’estime cl de respect 
pour votre loyauté.' 

(Il salue et se dirige vers la porte avec le Maestro.) 

FLORA. 

Non, Monsieur, restez!... restez ! vous dis-je! 

CAMILLE. 

Flora, que vas-tu faire ! Non... 

LE MARQUIS, h Flora qui veut l'attirer ver» Cumille. 

Ali ! Signora, c’en est assez. 

LE MAESTRO, b Flora qui hésite. 

Allons, Flora, du courage ! un bon mouvement. 

FLORA. 

Oh! quelle honte! j’ôlouffe!... Je no peux pas... eh bien, 
maître, parlez, faites ma confession ! 

LE MAESTRO. 

Oui, je m’en charge I 


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•0 


LE DEMON DU FOYER. 


CAMILLE. 

Et moi, je m’y oppose ! 

LE MAESTRO, bas h Camille. 

Sois tranquille. (Haut.) (/tu Marquis.) Ami, ne nous quittez 
plus. Camille accepte vos offres! c’est cette enfant... ( Flora se 
fetle dans les bras du Maestro en cachant sa figure.) Cette pauvre 
enfant!... qui avait exigé d’elle qu'elle ne se marierait pas ! 
que voulez-vous? c’est notre enfant gâté ! Elle était jalouse !... i 
LE PRINCE, qui s’est assis tranquillement au premier plau 
avec son lorgnon dans l'œil. 

Ah vraiment? 

LE MAESTRO, «levant la voix avec intention, tenant toujours 


Flora dans ses bras. 

Oui, jalouse de la tendresse de sa sœur, au point de vouloir 
l’accaparer. Ne s'imaginait-elle pas que Camille la négligerait 
en aimant un mari? mais elle a compris qu’elle se trompait» 
et que désormais chacun de nous l’aimera davantage. ( II f em- 
brasse au front.) Si c’est possible ! 

CAMILLE, baisant Ia main du Maestro. 

Oh merci ! 

FLORA. 

Vous êtes le meilleur des hommes ! 

LE MARQUIS. 

Et moi le plus heureux ! 


%(<,% 

FIN 


N.o d’ in vent: 


14 84 — 


Pans. — Xjp. Mwtu ni Cuap., rsa 04. 


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